Ma belle-mère devant ma porte : Ai-je le droit à ma tranquillité ?
— Tu comptes ouvrir ou tu vas me laisser dehors toute la journée ?
La voix de Françoise résonne derrière la porte, sèche, impatiente. Mon cœur bat à tout rompre. Je regarde l’horloge : 17h12. Je n’attendais personne. Surtout pas elle. Je serre la poignée, hésite. Mon fils, Lucas, joue dans sa chambre, inconscient de la tempête qui s’annonce.
Je respire profondément. J’ouvre.
Françoise entre sans un mot, sans un regard. Elle dépose son sac sur la table du salon comme si elle était chez elle. Elle l’est, du moins selon elle. Depuis que j’ai épousé son fils, Paul, il y a huit ans, elle s’invite dans notre vie, dans notre intimité, sans jamais demander la permission.
— Tu n’as pas changé les rideaux ? Je t’avais pourtant dit que le bleu ne va pas avec le canapé.
Je ravale ma colère. Je me force à sourire.
— Bonjour Françoise. Tu veux un café ?
Elle soupire, s’assied lourdement.
— Si tu veux. Mais pas trop fort, tu sais que je fais attention à ma tension.
Je me dirige vers la cuisine, les mains tremblantes. Je sens son regard sur moi, qui jauge, qui juge. Je me demande si elle remarque que je porte encore mon vieux pull, celui que Paul déteste mais que j’aime parce qu’il me rappelle ma mère. Ma mère qui, elle, ne s’imposait jamais.
Le café coule lentement. Je repense à toutes ces fois où Françoise a débarqué sans prévenir : le dimanche matin alors qu’on voulait traîner au lit, le soir de notre anniversaire de mariage, même le jour où Lucas a eu la varicelle et que je n’avais qu’une envie : dormir.
Je reviens au salon. Elle a déjà commencé son inspection : une pile de courrier sur la table basse, un jouet oublié sous le fauteuil.
— Tu devrais être plus organisée, tu sais. Ce n’est pas bon pour Lucas de vivre dans le désordre.
Je serre les dents.
— Il est heureux, c’est tout ce qui compte.
Elle lève les yeux au ciel.
— Heureux ? Avec une mère qui travaille trop et un père toujours absent ?
La gifle est invisible mais brutale. Je sens les larmes monter mais je refuse de pleurer devant elle.
Lucas surgit dans le salon en courant.
— Mamie !
Il se jette dans ses bras. Elle retrouve son sourire, celui qu’elle ne réserve qu’à lui. Je me sens de trop dans ma propre maison.
Paul rentre plus tard ce soir-là. Il embrasse sa mère, me lance un regard fatigué.
— Encore là ?
Elle hausse les épaules.
— Je voulais voir mon petit-fils. Et puis… il faut bien quelqu’un pour aider ta femme à tenir la maison.
Paul ne répond pas. Il file sous la douche. Je reste seule avec elle et Lucas.
Après le dîner — qu’elle critique du début à la fin — elle s’installe devant la télé avec Lucas. Je débarrasse en silence. Je rêve d’un bain chaud, d’un moment à moi. Mais je sais déjà qu’elle va rester dormir « parce qu’il est tard ».
La nuit tombe sur Paris. J’écoute les bruits de la ville derrière la fenêtre fermée. J’entends Françoise rire avec Lucas dans le salon. Je me sens étrangère chez moi.
Je repense à mon enfance à Lyon, à ma mère qui respectait toujours mon espace. Ici, tout est différent. Ici, je dois lutter pour chaque parcelle de tranquillité.
Le lendemain matin, alors que Paul part travailler et que Lucas est à l’école, je trouve Françoise dans la cuisine, en train de fouiller dans mes placards.
— Tu n’as plus de confiture maison ?
Je prends une grande inspiration.
— Françoise… Il faut qu’on parle.
Elle se retourne, surprise par mon ton ferme.
— Oui ?
— J’ai besoin que tu préviennes avant de venir. J’ai besoin d’avoir du temps pour moi, pour ma famille… pour respirer.
Son visage se ferme.
— Tu veux m’exclure ? Après tout ce que j’ai fait pour vous ?
Je sens la culpabilité monter en moi comme une vague noire. Mais je tiens bon.
— Non. Mais j’ai besoin de poser des limites. Pour moi. Pour Paul. Pour Lucas aussi.
Elle me regarde longuement, blessée, furieuse peut-être. Puis elle attrape son sac et claque la porte sans un mot.
Je m’effondre sur une chaise. Mon cœur bat trop vite. Ai-je eu raison ? Est-ce que je viens de briser quelque chose d’irréparable ?
Le soir venu, Paul rentre plus tôt que d’habitude. Il voit mon visage fermé.
— Elle t’a encore fait des remarques ?
Je hoche la tête.
Il s’assied en face de moi.
— Tu sais… C’est compliqué pour elle aussi depuis que son mari est parti. Mais tu as raison de vouloir ton espace. On doit en parler tous les deux… et avec elle aussi.
Je pleure enfin, soulagée qu’il comprenne. Peut-être que ce n’est pas la fin du monde mais le début d’autre chose : une famille où chacun a sa place… et ses frontières.
Mais combien d’entre nous osent vraiment dire stop ? Combien acceptent de sacrifier leur paix pour ne pas froisser la famille ? Est-ce égoïste de vouloir simplement exister chez soi ?