Entre Deux Feux : L’Amour, la Famille et Moi
— Tu restes dîner avec nous, Camille ?
La voix de François résonne dans la cuisine, légère, presque insouciante. Je serre la poignée de ma tasse, tentant de masquer le tremblement de mes doigts. Dans le salon, Élodie, son ex-femme, rit avec leurs deux enfants, Léa et Théo. La scène est si naturelle qu’elle me donne l’impression d’être une intruse dans ma propre vie.
Je me force à sourire. « Oui, bien sûr… »
Mais au fond de moi, tout vacille. Je me revois il y a six mois, quand François m’a demandé de m’installer avec lui dans ce petit appartement de Boulogne-Billancourt. J’avais cru que l’amour suffirait à tout surmonter. Mais ce soir, alors que je les observe partager des souvenirs d’un autre temps, je me demande si je ne me suis pas trompée.
— Tu te souviens, François, du Noël où Théo a renversé le sapin ?
Élodie éclate de rire. François aussi. Léa saute sur ses genoux. Je reste debout, figée, spectatrice d’un bonheur auquel je n’ai pas accès. Je voudrais m’enfuir, mais mes jambes refusent de bouger.
Après le dîner, alors que les enfants montent se coucher, Élodie s’attarde pour parler des vacances à organiser. Je surprends des regards complices entre elle et François. Je me sens invisible.
Plus tard, dans notre chambre, je n’arrive pas à trouver le sommeil. François s’allonge près de moi et pose sa main sur mon épaule.
— Ça va ? Tu es silencieuse ce soir.
Je retiens mes larmes. « Je me demande juste… où est ma place ici. »
Il soupire. « Tu sais bien que tu comptes pour moi. Mais les enfants… ils ont besoin de stabilité. Et Élodie fait partie de leur vie. »
Je me tourne vers le mur. J’aimerais lui dire que je comprends, mais la vérité c’est que je me sens étrangère à cette famille recomposée dont je ne maîtrise pas les codes.
Le lendemain matin, je croise Élodie dans l’entrée. Elle me lance un sourire poli.
— Merci d’avoir gardé les enfants hier soir. Ils t’aiment beaucoup, tu sais.
Je hoche la tête sans répondre. Ce compliment sonne comme une consolation : « Tu n’es pas leur mère, mais tu fais ce que tu peux. »
Au travail, mes collègues remarquent mon air absent.
— Camille, tu es sûre que ça va ?
Je mens : « Oui, juste un peu fatiguée. »
Mais la vérité me ronge : je ne sais plus qui je suis dans cette histoire. La jalousie me brûle le cœur chaque fois que François évoque un souvenir avec Élodie ou qu’il serre ses enfants contre lui comme si rien n’avait changé.
Un soir, alors que François est parti chercher les enfants chez Élodie, je reste seule dans l’appartement. Je regarde les photos sur le buffet : eux quatre à la plage, un Noël d’antan… Ma photo à moi n’est nulle part.
Je décide d’appeler ma mère.
— Camille, tu ne peux pas t’oublier pour quelqu’un d’autre. Tu as le droit d’exister pleinement.
Ses mots résonnent en moi comme une gifle douce et nécessaire.
Quand François rentre avec Léa et Théo, ils courent vers lui en criant « Papa ! ». Je souris, mais mon cœur se serre encore plus fort.
Le week-end suivant, nous sommes invités chez les parents de François à Versailles. Toute la famille est là : cousins, oncles, tantes… On me présente comme « la compagne de François ». Personne ne me pose vraiment de questions sur moi ; on parle surtout des enfants et d’Élodie qui « reste une amie précieuse » pour la famille.
Sur le chemin du retour, je craque.
— François… Est-ce que tu m’aimes vraiment ? Ou est-ce que je suis juste là pour combler un vide ?
Il freine brusquement sur le périphérique.
— Comment peux-tu dire ça ? Tu sais bien que je t’aime ! Mais tu savais aussi que j’avais un passé…
— Oui, mais je n’avais pas compris à quel point il était encore présent !
Le silence s’installe entre nous comme une barrière infranchissable.
Les jours passent et je m’éteins peu à peu. Je deviens l’ombre de moi-même, souriante en façade mais brisée à l’intérieur.
Un soir d’automne, alors que la pluie tambourine contre les vitres, je prends une décision. J’attends que François rentre du travail.
— Il faut qu’on parle.
Il s’assoit face à moi, inquiet.
— Je t’aime, François. Mais je ne peux plus vivre ainsi. J’ai besoin d’exister pour moi-même, pas seulement dans l’ombre de ton passé.
Il baisse les yeux. « Je comprends… »
Je fais ma valise en silence. Léa vient me serrer dans ses bras :
— Tu vas revenir ?
Je retiens mes larmes et embrasse sa joue.
Dans la rue, sous la pluie battante, je marche sans savoir où aller. Mais pour la première fois depuis longtemps, je me sens légère — libre d’être enfin moi-même.
Est-ce égoïste de choisir son propre bonheur ? Peut-on vraiment aimer quelqu’un sans jamais trouver sa place auprès de lui ? Qu’en pensez-vous ?