Maman, voici Paul : Mon futur mari et nos deux enfants – Comme tu l’as toujours voulu
— Tu ne peux pas me faire ça, Camille ! Tu ne peux pas !
La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un peu de chaleur dans ce matin glacial de février à Lyon. Paul est assis à côté de moi, silencieux, le regard fixé sur le carrelage. Nos deux enfants, Lucie et Théo, jouent dans le salon, inconscients du drame qui se joue à quelques mètres d’eux.
Je ferme les yeux un instant. Toute ma vie, j’ai voulu être parfaite pour elle. Ma mère, Françoise, institutrice à la retraite, femme de principes et de traditions. Elle a élevé seule ma sœur et moi après le départ de mon père. Elle voulait que je sois forte, brillante, irréprochable. Elle voulait que je fasse un « bon mariage », que j’aie une belle maison, des enfants bien élevés. Elle voulait que je sois heureuse – mais à sa façon.
— Camille, tu sais très bien ce que j’en pense…
Je rouvre les yeux. Elle me fixe, les bras croisés sur sa poitrine. Je sens la colère monter en moi, mais aussi la tristesse. Je voudrais lui crier que je suis fatiguée de ses exigences, que je veux vivre pour moi, pas pour elle. Mais les mots restent coincés dans ma gorge.
Paul pose une main sur la mienne. Son geste est doux, rassurant. Il sait tout ce que j’ai traversé pour en arriver là. Nous nous sommes rencontrés il y a six ans à l’université. Il n’était pas celui qu’elle aurait choisi pour moi : fils d’ouvrier, passionné de musique, un peu bohème sur les bords. Mais il m’a aimée comme personne ne l’avait jamais fait. Avec lui, j’ai appris à respirer.
Quand je suis tombée enceinte de Lucie, j’ai cru que ma mère allait enfin accepter notre couple. Mais non. Elle a trouvé mille raisons de critiquer : notre appartement trop petit, notre manque d’argent, notre façon d’élever les enfants. Quand Théo est né, elle a à peine souri sur la photo de famille.
Aujourd’hui, c’est pire. Paul m’a demandé en mariage il y a deux semaines. J’ai dit oui sans hésiter – c’était une évidence pour moi. Mais quand je l’ai annoncé à ma mère, elle a explosé.
— Tu vas gâcher ta vie ! Tu mérites mieux que ça !
Je me lève brusquement.
— Maman, arrête ! Tu ne vois pas que je suis heureuse ?
Elle secoue la tête.
— Heureuse ? Tu crois que c’est ça, le bonheur ? Vivre dans un deux-pièces avec deux enfants et un homme qui n’a même pas un vrai travail ?
Paul se lève à son tour.
— Madame Dubois, je fais de mon mieux pour Camille et les enfants. Je les aime plus que tout.
Ma mère le regarde avec mépris.
— L’amour ne paie pas les factures.
Un silence pesant s’installe. Je sens les larmes monter. J’ai envie de fuir cette pièce, cette maison pleine de souvenirs et d’attentes déçues.
Je repense à mon enfance : les concours de piano où elle me poussait jusqu’à l’épuisement ; les bulletins scolaires qu’elle scrutait avec sévérité ; les amis qu’elle jugeait indignes de moi. J’ai grandi dans la peur de la décevoir.
Mais aujourd’hui, c’est trop. J’ai trente-deux ans. Deux enfants magnifiques. Un homme qui m’aime sincèrement. Pourquoi n’arrive-t-elle pas à voir ce bonheur ?
Lucie entre dans la cuisine en courant.
— Maman, Théo a cassé le camion !
Je m’accroupis pour la prendre dans mes bras.
— Ce n’est pas grave, ma chérie. On va réparer ça ensemble.
Ma mère soupire bruyamment.
— Voilà… Toujours à tout minimiser…
Je me relève et la regarde droit dans les yeux.
— Maman, je t’aime. Mais je ne peux plus vivre selon tes rêves à toi. J’ai mes propres rêves maintenant.
Elle détourne le regard, blessée.
— Tu comprendras quand tes enfants te feront la même chose…
Paul me serre contre lui. Je sens son cœur battre fort sous sa chemise.
— On va s’en sortir, Camille. On est une famille.
Je voudrais croire que tout va s’arranger. Que ma mère finira par accepter Paul et nos enfants tels qu’ils sont. Mais au fond de moi, je sais que rien n’est jamais simple avec elle.
Le soir venu, après son départ précipité, je reste longtemps assise sur le canapé à regarder Lucie et Théo dormir paisiblement. Paul me rejoint et me prend la main.
— Tu regrettes ?
Je secoue la tête.
— Non… Mais j’aurais aimé qu’elle soit fière de moi… juste une fois.
Il m’embrasse sur le front.
Je repense à tout ce chemin parcouru : les sacrifices, les disputes, les moments de doute et de joie aussi. Je me demande si un jour je serai capable de pardonner à ma mère ses attentes démesurées… ou si je finirai par lui ressembler malgré moi.
Est-ce qu’on peut vraiment être heureux sans l’approbation de ceux qu’on aime ? Ou faut-il apprendre à s’aimer soi-même avant tout ? Qu’en pensez-vous ?