« Ne te presse pas, Camille ! » – L’échappée d’une mariée face à une famille étouffante
« Camille, tu es prête ? » La voix de ma future belle-mère résonne derrière la porte, tranchante comme une lame. Je serre la poignée de la fenêtre, mon cœur cogne si fort que j’ai peur qu’elle l’entende. Dehors, la pluie tambourine sur les toits de notre vieille maison familiale à Angers. Je me regarde dans le miroir : la robe blanche me va trop bien, comme un déguisement parfait pour une pièce dont je ne veux pas être l’héroïne.
Depuis six mois, tout s’est accéléré. Paul m’a demandé en mariage sous les lampions d’un bal du 14 juillet, devant toute sa famille. J’ai dit oui, prise dans l’euphorie, mais dès le lendemain, sa mère, Françoise, a pris les rênes. « Camille, tu devrais porter le voile de ma grand-mère. Camille, on va inviter tous les cousins, même ceux que tu ne connais pas. Camille, tu ne veux pas changer de coiffure ? »
Au début, j’ai cru que c’était normal. Après tout, en France, la famille c’est sacré. Mais très vite, j’ai compris que je n’étais qu’un pion dans leur tableau parfait. Ma propre mère, Hélène, restait en retrait, intimidée par la prestance des Dubois. Mon père, lui, n’a jamais vraiment accepté Paul – « trop lisse », disait-il – mais il s’est tu pour ne pas faire d’histoires.
Un soir, alors que je rentrais tard du travail à la médiathèque municipale, Paul m’attendait dans la cuisine. « Maman pense qu’on devrait déménager plus près d’eux après le mariage. Ce serait plus simple pour les enfants… »
— Les enfants ? On n’a même pas encore parlé de ça !
— Tu sais bien que c’est important pour eux…
J’ai senti une boule se former dans ma gorge. Depuis quand mes choix étaient-ils décidés par d’autres ?
Les semaines ont passé et chaque jour apportait son lot d’injonctions : la robe choisie par Françoise, le menu imposé par son père – « Pas de poisson, Camille, certains invités n’aiment pas ça » –, la liste des invités revue et corrigée sans mon avis. Même mes témoins ont été sélectionnés pour moi.
La veille du mariage, j’ai craqué. Ma sœur Lucie m’a trouvée en larmes dans ma chambre d’enfant.
— Tu ne peux pas continuer comme ça, Camille. Ce n’est pas toi, tout ça.
— Mais si je pars maintenant… Je vais décevoir tout le monde. Je vais passer pour une égoïste.
— Et toi ? Tu comptes t’oublier pour leur faire plaisir ?
Ses mots m’ont frappée en plein cœur. Toute la nuit, j’ai tourné en rond dans mon lit, écoutant les rires étouffés des Dubois installés dans le salon en bas.
Le matin du mariage, alors que je me préparais dans la chambre d’amis – Françoise avait insisté pour que je dorme seule « pour respecter la tradition » –, j’ai senti une panique sourde m’envahir. J’ai regardé mon reflet : qui étais-je devenue ?
La porte s’est ouverte brusquement :
— Camille ! On t’attend !
Françoise me fixait avec un sourire crispé. Derrière elle, Paul semblait absent, déjà englouti par le poids des attentes familiales.
J’ai pris une grande inspiration.
— Je… Je dois sortir prendre l’air.
— Mais enfin ! Les invités arrivent !
— Juste cinq minutes.
Je suis descendue dans le jardin détrempé. L’odeur de la terre mouillée m’a rappelé les étés de mon enfance, quand je courais pieds nus sous la pluie avec Lucie. J’ai fermé les yeux et j’ai senti une larme couler sur ma joue.
C’est là que mon père m’a rejointe.
— Tu n’es pas obligée de faire ça si tu ne le sens pas.
— Mais papa… Tout est prêt…
— Rien n’est jamais prêt si toi tu ne l’es pas.
Il m’a serrée dans ses bras et j’ai éclaté en sanglots. J’ai compris à ce moment-là que je devais choisir : vivre pour moi ou pour eux.
Je suis remontée en courant dans ma chambre. J’ai attrapé un vieux jean et un pull dans mon sac de voyage. J’ai retiré la robe blanche avec rage et l’ai laissée tomber sur le lit comme une peau morte.
Dans le couloir, Lucie m’attendait.
— Tu fais ce qu’il faut.
J’ai descendu l’escalier à toute vitesse. Dans l’entrée, Françoise a tenté de m’arrêter :
— Camille ! Où vas-tu ?!
— Vivre ma vie.
Je suis sortie sous la pluie battante sans me retourner. Les gouttes effaçaient mon maquillage et mes peurs à chaque pas vers la liberté.
Aujourd’hui, assise dans un petit café du centre-ville avec Lucie et mon père à mes côtés, je repense à ce jour où j’ai fui ce qui aurait pu être une prison dorée. Paul ne m’a jamais rappelée ; sa famille non plus. Ma mère a mis du temps à comprendre mais elle a fini par m’embrasser en pleurant : « Tu as eu du courage… »
Je me demande souvent : combien d’entre nous vivent encore pour les autres ? Combien osent dire non avant qu’il ne soit trop tard ? Et vous… auriez-vous eu le courage de fuir comme moi ?