Quand la maladie de ma fille a révélé le secret : l’histoire d’un père français qui a dû tout recommencer
« Papa, pourquoi maman n’est pas là ? »
La voix de Juliette, tremblante, résonne dans la chambre d’hôpital, blanche et froide. Je serre sa main, si petite, si fragile sous les perfusions. Mon cœur bat trop fort, mes pensées s’entrechoquent. Je n’ai pas de réponse. Claire a disparu il y a trois jours, sans un mot, sans un regard en arrière. Et maintenant, Juliette est malade. Très malade.
Tout a commencé par une simple fièvre. Mais très vite, les médecins ont parlé de leucémie. Le mot m’a frappé comme une gifle. J’ai voulu appeler Claire, lui crier de revenir, mais son téléphone sonnait dans le vide. Les jours se sont enchaînés, chaque heure plus lourde que la précédente. Je me suis retrouvé seul à faire face à l’inimaginable.
Le troisième soir à l’hôpital, alors que Juliette dormait enfin, le Dr Lefèvre m’a pris à part. Son regard était grave, presque compatissant.
— Monsieur Martin, il va falloir faire des tests génétiques pour trouver un donneur compatible…
J’ai hoché la tête, prêt à tout pour sauver ma fille.
— Nous avons besoin de vos analyses et de celles de la maman.
— Sa mère… elle… elle est partie. Je ne sais pas où elle est.
Il a soupiré, notant quelque chose sur son carnet.
— Nous allons commencer avec vous.
Quelques jours plus tard, alors que je tentais de rassurer Juliette avec des histoires inventées, le médecin est revenu. Son visage était fermé.
— Monsieur Martin, il faut qu’on parle.
Il m’a conduit dans une petite salle à l’écart. J’ai senti la panique monter.
— Les résultats montrent que vous n’êtes pas le père biologique de Juliette.
Le sol s’est dérobé sous mes pieds. J’ai cru m’effondrer. Comment était-ce possible ? Quinze ans de vie commune, quinze ans à aimer cette enfant plus que tout…
Je me suis revu, jeune marié avec Claire, nos promenades sur les quais de la Garonne, les rires de Juliette dans le jardin familial à Bordeaux. Tout cela n’était-il qu’un mensonge ?
La colère a laissé place à la douleur. J’ai fouillé la maison à la recherche d’indices, relu les lettres de Claire, écouté ses messages vocaux mille fois. Rien ne laissait présager une telle trahison. Pourquoi était-elle partie ? Pourquoi maintenant ?
Les jours suivants ont été un enfer. Les infirmières me regardaient avec pitié. Les parents des autres enfants évitaient mon regard. J’étais seul face à l’incompréhensible.
Un soir, alors que Juliette pleurait de douleur et d’angoisse, elle m’a demandé :
— Tu vas partir toi aussi ?
J’ai senti mon cœur se briser. Comment lui expliquer ce que même moi je ne comprenais pas ? Je me suis penché vers elle et j’ai murmuré :
— Jamais, ma chérie. Je serai toujours là pour toi.
Mais au fond de moi, le doute me rongeait. Avais-je encore le droit de me dire son père ?
Les semaines ont passé. Les médecins ont cherché un donneur compatible dans le fichier national. En vain. Il fallait retrouver Claire ou l’homme qui avait donné la vie à Juliette.
J’ai engagé un détective privé, vidé mes économies pour retrouver ma femme disparue. Les pistes menaient à Paris, puis à Lyon. J’ai découvert qu’elle avait un amant depuis des années : Antoine Dubois, un collègue de travail. C’était lui, le père biologique.
J’ai hésité longtemps avant de le contacter. Que lui dire ? Que sa fille était en train de mourir ? Qu’il devait se présenter à l’hôpital pour faire des tests ?
Je me suis retrouvé devant sa porte, tremblant comme un enfant. Il a ouvert, surpris de me voir.
— Paul ? Qu’est-ce que tu fais là ?
Je lui ai tout raconté d’une traite, sans reprendre mon souffle. Il est resté silencieux un long moment avant d’accepter de venir à Bordeaux.
À l’hôpital, Juliette ne comprenait rien à ce ballet d’adultes inquiets autour d’elle. Antoine a fait les tests. Il était compatible.
Pendant les semaines qui ont suivi la greffe, je me suis effondré chaque soir dans ma voiture sur le parking de l’hôpital. Je pleurais tout ce que j’avais retenu : la trahison de Claire, la peur de perdre Juliette, la honte d’avoir été aveugle si longtemps.
Mais au fil des jours, quelque chose a changé entre Juliette et moi. Elle me réclamait toujours pour lui lire ses histoires préférées. Elle voulait ma main dans la sienne avant de s’endormir. Elle m’appelait « papa », sans hésiter.
Un matin d’automne, alors que les feuilles tombaient sur le parvis de l’hôpital Pellegrin, Juliette m’a regardé droit dans les yeux :
— Tu sais papa… même si tu n’es pas mon vrai papa… je veux que tu restes mon papa pour toujours.
J’ai compris alors que le sang ne fait pas tout. Être père, c’est aimer sans condition, c’est rester quand tout s’effondre.
Aujourd’hui encore, je me demande : qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on pardonner l’impardonnable pour l’amour d’un enfant ?