L’énigme de Claire : Pourquoi suis-je encore seule à 42 ans ?

— Alors Claire, tu comptes finir vieille fille ou tu vas enfin nous présenter quelqu’un ?

La voix de mon frère, Paul, résonne dans la salle à manger. Les couverts s’arrêtent, ma mère lève les yeux au ciel, mon père toussote. Je sens le rouge me monter aux joues. J’ai 42 ans, et ce genre de question me poursuit depuis mes trente ans. Je souris, un sourire crispé, et je réponds :

— Peut-être que je préfère être seule qu’avec la mauvaise personne.

Paul ricane. Ma mère pose sa main sur la mienne :

— Tu sais, ma chérie, il n’est jamais trop tard… Mais tu devrais penser à l’avenir. À ton âge…

À mon âge. Ces mots me transpercent. Je regarde autour de moi : mon frère et sa femme, leurs deux enfants qui se chamaillent sous la table ; mes parents qui s’inquiètent pour moi comme si j’étais une adolescente attardée. Je me sens étrangère dans cette maison où j’ai grandi.

Plus tard, dans ma voiture, je laisse couler les larmes que j’ai retenues toute la soirée. Pourquoi suis-je encore seule ? Est-ce un choix ou une fatalité ?

Je repense à mes histoires passées. À Julien, mon premier amour, qui m’a quittée pour une collègue enceinte de lui. À Marc, le médecin brillant mais possessif, qui voulait que j’arrête mon travail d’architecte pour « m’occuper du foyer ». À Sophie, ma meilleure amie qui a coupé les ponts après que je lui ai avoué être tombée amoureuse d’elle un soir d’ivresse. À tous ces hommes et ces femmes qui ont traversé ma vie sans jamais y rester.

Au bureau, les conversations sont les mêmes. « Tu n’as pas peur d’être seule ? », « Tu ne veux pas d’enfants ? », « Tu es trop exigeante ! » J’ai appris à sourire, à détourner la conversation. Mais chaque remarque laisse une trace.

Un soir, lors d’un vernissage à la galerie où j’expose parfois mes dessins, je rencontre Antoine. Il a mon âge, il est divorcé, deux enfants en garde alternée. Il me fait rire. Il ne pose pas de questions sur mon passé. Nous passons la soirée à parler d’art et de voyages. Je sens une étincelle renaître en moi.

Quelques jours plus tard, il m’invite à dîner chez lui. Je me surprends à hésiter devant le miroir : robe ou pantalon ? Je choisis la robe. En arrivant chez lui, je découvre un appartement chaleureux, des dessins d’enfants accrochés au frigo. Il me propose un verre de vin.

— Tu sais Claire, je trouve ça courageux d’être seule à notre âge. Beaucoup se contentent de peu par peur du vide.

Je souris tristement.

— Parfois je me demande si ce n’est pas le vide qui m’a choisie.

Il pose sa main sur la mienne.

— On n’est jamais vraiment seuls quand on s’écoute soi-même.

Cette phrase me bouleverse. Toute la soirée, je sens que quelque chose pourrait commencer entre nous. Mais au moment où il s’approche pour m’embrasser, je recule instinctivement.

— Pardon… Je… Je crois que j’ai peur.

Il ne se vexe pas. Il me regarde avec douceur.

— Prends ton temps. On a toute la vie devant nous.

Sur le chemin du retour, je repense à cette peur qui me paralyse. Peur d’être déçue encore une fois. Peur de perdre ma liberté durement acquise. Peur du regard des autres si j’échoue encore.

Le lendemain matin, ma mère m’appelle.

— Alors ? Tu as rencontré quelqu’un ?

Je soupire.

— Peut-être… Mais tu sais maman, je crois que je dois d’abord me retrouver moi-même.

Silence au bout du fil. Puis elle murmure :

— Tu sais, ton père et moi on s’inquiète parce qu’on t’aime. Mais on veut surtout que tu sois heureuse.

Je raccroche en souriant tristement. Le bonheur… Est-ce qu’il ressemble vraiment à ce que tout le monde attend de moi ?

Les semaines passent. Antoine m’envoie des messages doux mais sans pression. Je reprends mes dessins, je vais courir le long de la Loire au petit matin. Petit à petit, je sens une paix nouvelle s’installer en moi.

Un dimanche matin, alors que je bois mon café sur le balcon, Paul m’appelle.

— Claire… Je voulais m’excuser pour l’autre soir. J’ai été con.

Je ris doucement.

— Oui, tu l’as été… Mais merci de t’en rendre compte.

Il hésite puis ajoute :

— Tu sais, c’est pas facile non plus pour moi avec Julie… On fait semblant parfois… Mais toi au moins tu es honnête avec toi-même.

Je reste silencieuse. Pour la première fois, j’entends la faille derrière l’arrogance de mon frère.

Ce soir-là, j’invite Antoine à dîner chez moi. Nous parlons longtemps de nos peurs respectives, de nos échecs et de nos rêves encore possibles. Il ne cherche pas à combler un vide ; il veut juste partager un bout de chemin avec moi.

En refermant la porte derrière lui, je me regarde dans le miroir du couloir. J’ai 42 ans, je suis seule… mais peut-être plus pour longtemps.

Est-ce si grave d’être seule quand on se sent enfin complète ? Et vous, qu’est-ce qui vous fait vraiment peur : la solitude ou le regard des autres ?