Sept Nuits Blanches : Comment l’Insomnie a Brisé Mon Mari et Notre Famille

« Tu ne comprends pas, Claire ! Je n’arrive plus à dormir, je deviens fou ! »

La voix de Julien résonne encore dans le salon, tranchante, étrangère. Il est trois heures du matin, Camille dort à l’étage, et moi je serre la tasse de thé entre mes mains tremblantes. Depuis sept nuits, Julien tourne en rond dans l’appartement, les yeux cernés, le visage fermé. Il ne me regarde plus. Il ne regarde plus personne.

Tout a commencé un lundi soir, banal. Julien est rentré du travail plus tard que d’habitude, le visage fatigué. « Encore une réunion qui s’est éternisée », a-t-il marmonné en déposant son sac. Mais cette fois, il n’a pas mangé. Il s’est contenté de s’asseoir sur le canapé, fixant le vide. La nuit suivante, il s’est levé à minuit, puis à deux heures, puis à quatre. J’ai cru à un cauchemar passager. Mais chaque nuit, c’était pire.

Au bout de trois jours sans sommeil, il a commencé à s’énerver pour un rien. Un verre cassé, un jouet traînant dans le couloir, la voix de Camille trop forte au petit-déjeuner… Tout devenait prétexte à explosion. « Tu ne fais jamais attention ! » m’a-t-il crié un matin, alors que je tentais simplement de préparer le cartable de notre fille.

J’ai essayé de comprendre. J’ai proposé d’aller voir un médecin. « Je n’ai pas besoin d’aide ! » a-t-il hurlé en claquant la porte. Le soir même, il n’est pas rentré. J’ai appelé sa mère, Françoise. « Il est ici », m’a-t-elle dit d’une voix lasse. « Il a besoin de repos. »

Les jours suivants ont été un supplice. Camille me demandait chaque soir : « Papa revient quand ? » Je mentais : « Bientôt, ma chérie. » Mais au fond de moi, je savais que quelque chose s’était brisé.

Je me suis retrouvée seule à tout gérer : les courses, les devoirs, les crises de larmes de Camille qui ne comprenait pas pourquoi son père ne lui lisait plus d’histoires le soir. Je me suis surprise à pleurer dans la salle de bain, à étouffer mes sanglots pour ne pas réveiller ma fille.

Julien ne répondait plus à mes messages. Sa mère m’a dit qu’il dormait toute la journée et errait la nuit dans sa chambre d’enfant comme un fantôme. Un soir, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée chez Françoise.

Il était là, assis sur le lit, les yeux rouges, les mains tremblantes. « Je ne peux plus rentrer », a-t-il murmuré sans me regarder. « Je ne suis plus moi-même. J’ai peur de vous faire du mal… »

Je me suis assise à côté de lui. J’ai voulu lui prendre la main mais il l’a retirée brusquement.

— Tu m’as abandonnée, Julien… Tu as abandonné Camille.
— Je sais… Mais je n’y arrive plus.

J’ai senti la colère monter en moi, mêlée à une tristesse immense. Comment l’homme que j’aimais pouvait-il disparaître ainsi ? Comment pouvait-il choisir la fuite plutôt que le combat ?

Les semaines ont passé. Julien est resté chez sa mère. J’ai dû expliquer à Camille que son père était malade, qu’il avait besoin de temps pour guérir. Mais comment expliquer l’inexplicable à une enfant de six ans ?

Un soir d’automne, alors que je rangeais les jouets dans le salon silencieux, j’ai trouvé une lettre glissée sous la porte. L’écriture tremblante de Julien :

« Claire,
Je suis désolé pour tout ce que je t’ai fait subir. Je ne sais pas si je pourrai revenir un jour. Je t’aime encore mais je ne sais plus comment aimer sans me perdre moi-même.
Julien »

J’ai relu ces mots des dizaines de fois. J’ai pleuré toute la nuit.

Aujourd’hui, cela fait trois mois que Julien est parti. Camille commence à sourire à nouveau mais parfois elle se réveille en pleurant : « Papa me manque… » Moi aussi il me manque, même si je lui en veux terriblement.

Je repense à ces sept nuits blanches qui ont tout changé. À cette fatigue qui a dévoré l’homme que j’aimais et détruit notre famille.

Est-ce que l’amour peut survivre à une telle épreuve ? Est-ce qu’on peut pardonner l’abandon quand on a été brisé ?

Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?