« Maman, je suis à Biarritz. Les enfants sont chez Mamie. Pardonne-moi, essaie de comprendre ! » – Comment une phrase a bouleversé ma vie

« Maman, tu vas où ? » La voix de Camille, ma fille de six ans, tremblait dans le couloir. J’avais la valise à la main, le cœur battant si fort que j’en avais mal à la poitrine. J’ai posé un baiser sur son front, sans répondre. Derrière moi, la porte d’entrée grinçait. J’ai entendu ma mère murmurer : « Laisse-la, elle a besoin de souffler. »

Je suis sortie sans me retourner. Dans la voiture, j’ai envoyé ce message à mon mari : « Antoine, je suis à Biarritz. Les enfants sont chez Mamie. Pardonne-moi, essaie de comprendre ! »

Ce message, je l’ai relu cent fois. Je savais qu’il allait tout changer. Mais je n’avais plus le choix. Depuis des mois, je n’étais plus qu’une ombre dans ma propre vie. Je courais entre l’école, le travail à la mairie, les courses, les devoirs, les lessives… Antoine rentrait tard, toujours fatigué, et moi je tenais bon – du moins c’est ce que je croyais.

Le soir où tout a basculé, Camille avait fait une crise parce qu’elle ne trouvait plus son doudou. Paul, son frère de neuf ans, s’était enfermé dans sa chambre après une dispute pour un jeu vidéo. J’ai crié plus fort que d’habitude. J’ai vu la peur dans leurs yeux. J’ai compris que je n’étais plus la mère que je voulais être.

Cette nuit-là, j’ai pleuré en silence dans la salle de bains. J’ai pensé à ma propre mère, qui avait tout sacrifié pour nous. Je me suis demandé si elle avait déjà eu envie de partir, elle aussi.

Le lendemain matin, j’ai préparé les enfants comme d’habitude. Mais au lieu d’aller au travail, j’ai déposé Camille et Paul chez ma mère. Elle m’a regardée longuement :

— Tu veux que je dise quelque chose à Antoine ?
— Non… Je lui écrirai.

Sur la route vers Biarritz, j’ai senti un mélange de culpabilité et de soulagement. Le paysage défilait, la mer approchait. Je me suis arrêtée sur une aire d’autoroute pour respirer l’air frais et pleurer encore un peu.

À l’hôtel, j’ai dormi dix heures d’affilée pour la première fois depuis des années. Le lendemain matin, j’ai marché sur la plage pieds nus. Le vent salé m’a fouetté le visage ; j’avais l’impression de renaître.

Mais très vite, les messages ont commencé à arriver. Antoine : « Tu es sérieuse ? Tu me laisses comme ça ? » Ma sœur : « Tu ne peux pas faire ça aux enfants ! » Même ma mère : « Tu dois revenir, ils ont besoin de toi. »

Je me suis sentie égoïste, lâche… mais aussi vivante. Pour la première fois depuis longtemps, je pensais à moi.

Le troisième jour, Antoine m’a appelée en visio. Il avait les traits tirés.

— Pourquoi tu fais ça ?
— Parce que je n’en peux plus… Je ne suis plus heureuse.
— Et moi alors ? Et les enfants ?
— Justement… Je ne veux pas leur transmettre cette fatigue, cette colère.

Il a raccroché sans un mot.

J’ai passé mes journées à marcher sur la plage ou à lire sur la terrasse d’un café face à l’océan. J’observais les familles en vacances : des mères détendues, des enfants qui riaient… Je me demandais si elles aussi avaient parfois envie de tout quitter.

Un soir, alors que le soleil se couchait sur la mer, une femme d’une cinquantaine d’années s’est assise près de moi au bar de l’hôtel.

— Vous avez l’air préoccupée…
— Je viens de fuir ma famille.
— Ah ! Vous savez… Moi aussi j’ai fait ça il y a vingt ans. On ne s’en remet jamais vraiment… mais parfois c’est nécessaire pour survivre.

Ses mots m’ont bouleversée. Elle m’a raconté comment elle était revenue après deux semaines d’absence et comment sa famille avait changé son regard sur elle – ou pas.

Au bout d’une semaine, j’ai décidé de rentrer. Dans le train du retour, mon cœur battait la chamade. J’avais peur du regard des autres, peur d’avoir brisé quelque chose d’irréparable.

À la gare de Bordeaux, Antoine m’attendait avec Paul et Camille. Les enfants se sont jetés dans mes bras en pleurant.

— Tu ne partiras plus jamais ?
J’ai hésité avant de répondre :
— Je ne sais pas… Mais j’essaierai d’être là autrement.

Antoine m’a prise à part :
— Tu m’as fait peur… Mais je comprends mieux maintenant.
— On doit changer des choses… Je ne peux plus tout porter seule.
Il a hoché la tête en silence.

Depuis ce jour-là, rien n’est parfait mais tout est différent. J’ai repris mon travail à mi-temps ; Antoine s’implique davantage à la maison ; les enfants savent que maman peut être fatiguée aussi.

Parfois je culpabilise encore. Mais je me demande : est-ce vraiment un crime pour une mère de vouloir exister autrement que par ses enfants ? Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu envie de tout quitter juste pour respirer ?