Entre Deux Feux : Quand Mamie Dit Non

— Mais pourquoi tu ne veux pas venir, Mamie ? Tu avais promis !

La voix de mon fils Paul résonne dans le salon, pleine d’incompréhension et de tristesse. Je serre fort le combiné du téléphone, tentant de masquer ma propre déception. Ma belle-mère, Françoise, souffle à l’autre bout du fil :

— Claire, je suis désolée, mais j’ai déjà prévu mon week-end. Je pars à Deauville avec mes amies. Je ne peux pas toujours être disponible, tu comprends ?

Je comprends. Enfin, j’essaie. Mais comment expliquer à mes enfants que leur grand-mère a choisi la mer plutôt que leur compagnie ? Comment leur dire que ce samedi tant attendu, où ils devaient faire des crêpes et construire des cabanes dans le jardin de Mamie, n’aura pas lieu ?

Paul, 7 ans, et sa petite sœur Juliette, 4 ans, me regardent avec leurs grands yeux pleins d’espoir. Je sens la colère monter en moi. Pas contre Françoise, pas vraiment… mais contre cette situation injuste. Depuis la mort de mes parents, elle est la seule grand-parent présente. Et aujourd’hui, elle nous laisse tomber.

— Maman, pourquoi Mamie ne veut plus de nous ?

La question me transperce. Je m’agenouille devant eux, cherchant les mots justes.

— Ce n’est pas qu’elle ne veut plus de vous, mes chéris. Parfois, les adultes ont aussi besoin de temps pour eux.

Juliette se met à pleurer doucement. Paul serre les poings.

— C’est pas juste ! Tu travailles tout le temps et Papa aussi ! On voit jamais personne !

Je voudrais crier que moi aussi je suis fatiguée, que moi aussi j’aimerais partir à Deauville avec des amies. Mais je ravale mes larmes. Je dois être forte pour eux.

Le soir venu, Antoine, mon mari, rentre du travail. Je lui raconte tout. Il hausse les épaules.

— Ma mère a bien le droit de vivre sa vie… On ne peut pas toujours compter sur elle.

Je sens la distance entre nous grandir. Lui, il s’en fiche un peu. Il n’a jamais vraiment été proche de sa mère. Mais moi, j’ai besoin d’aide. J’ai besoin de souffler.

Le lendemain matin, je croise Françoise au marché. Elle rayonne dans son manteau bleu ciel.

— Claire ! Tu fais grise mine…

Je retiens un soupir.

— Les enfants sont tristes. Ils t’attendaient.

Elle fronce les sourcils.

— Je ne peux pas être partout à la fois. Tu sais, à mon âge, j’ai envie de profiter aussi… Quand j’étais jeune maman, personne ne m’aidait !

Je sens la colère monter.

— Mais tu leur avais promis…

Elle hausse les épaules.

— Ils s’en remettront. Ce n’est pas la fin du monde.

Je rentre chez moi, le cœur lourd. Les enfants sont silencieux devant un dessin animé. Je m’assieds à côté d’eux et les prends dans mes bras.

— On va trouver une autre idée pour ce week-end…

Mais rien ne semble pouvoir remplacer Mamie.

Le soir même, je reçois un message de Françoise : « J’espère que tu ne m’en veux pas trop. On se voit dimanche prochain ? »

Je ne réponds pas tout de suite. Je me demande si c’est moi qui suis trop exigeante ou si c’est elle qui manque à ses devoirs de grand-mère. En France, on dit souvent que les grands-parents sont là pour gâter leurs petits-enfants… Mais ont-ils vraiment cette obligation ?

Le lundi matin, à l’école, je croise d’autres mamans.

— Ma belle-mère refuse aussi parfois… Elle a sa vie !
— Moi c’est pareil ! On croit qu’on peut compter sur eux mais ils veulent leur liberté…

Je me sens moins seule mais toujours perdue.

Le soir venu, Paul me demande :

— Maman, tu crois que Mamie nous aime encore ?

Je le serre fort contre moi.

— Bien sûr qu’elle vous aime. Mais parfois, aimer quelqu’un c’est aussi savoir dire non pour soi-même…

Mais au fond de moi, je doute encore. Où est la limite entre l’égoïsme et le droit au bonheur ? Entre le devoir familial et l’envie de vivre pour soi ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce que j’attends trop de ma belle-mère… ou est-ce normal d’espérer un peu plus d’elle ?