Quand tout s’effondre : Le combat d’Élise après le départ de Paul
« Tu crois vraiment qu’on va y arriver comme ça ? » La voix de Paul résonne encore dans ma tête, tranchante, pleine de peur et d’amertume. C’était un matin gris de février, dans notre petit appartement de Lyon. Les jumeaux, Lucas et Camille, venaient d’avoir deux ans. Le diagnostic était tombé la veille : autisme sévère pour tous les deux. Je me souviens du silence qui a suivi, lourd, presque palpable. Paul n’a pas supporté. Il a claqué la porte, emportant avec lui ses affaires et mes derniers espoirs d’avoir une famille unie.
Je suis restée là, figée, avec deux enfants qui ne parlaient pas, qui fuyaient mon regard, qui hurlaient à la moindre contrariété. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps ce soir-là. Mais au matin, il a fallu se lever. Préparer le petit-déjeuner, changer les couches, essuyer les pleurs. J’ai compris que je n’avais pas le choix : il fallait avancer.
Ma mère, Françoise, m’a appelée : « Élise, tu veux que je vienne t’aider ? » Mais elle habite à Bordeaux et travaille encore. Mon père ? Il n’a jamais accepté la différence. « Ce n’est pas normal, Élise. Tu devrais consulter un autre médecin. » J’ai raccroché. Je me suis sentie plus seule que jamais.
Les premiers mois ont été un enfer. Les rendez-vous au CAMSP (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce), les démarches administratives interminables pour obtenir l’AEEH (Allocation d’Éducation de l’Enfant Handicapé), les regards des voisins dans l’ascenseur quand Lucas se roulait par terre en hurlant parce que la lumière était trop forte. J’ai perdu mon travail de secrétaire médicale : trop d’absences, trop de retards. « On comprend votre situation, mais nous avons besoin de quelqu’un de fiable », m’a dit mon patron avec un sourire gêné.
Les nuits blanches se sont enchaînées. Camille ne dormait presque pas ; elle se balançait contre le mur jusqu’à s’endormir d’épuisement. Lucas refusait de manger autre chose que des pâtes nature. J’ai cru devenir folle. J’ai crié, parfois. J’ai eu honte de ma colère.
Un soir, alors que je tentais désespérément de calmer Camille en pleine crise, la voisine du dessus a frappé à ma porte : « Vous ne pouvez pas faire moins de bruit ? Certains essaient de dormir ici ! » J’ai fondu en larmes devant elle. Elle est restée interdite, puis a marmonné un « désolée » avant de repartir.
J’ai cherché du soutien partout : groupes Facebook de parents d’enfants autistes, associations locales comme Autisme France ou Sésame Autisme. Mais même là, je me sentais différente : la plupart étaient en couple, ou avaient des familles prêtes à les aider. Moi, j’étais seule.
Un jour, à la sortie du centre de rééducation, j’ai croisé Claire, une autre maman solo. Elle m’a souri : « On prend un café ? » Ce fut le début d’une amitié précieuse. On partageait nos galères, nos petites victoires : « Camille a dit “eau” aujourd’hui ! », « Lucas a accepté de mettre ses chaussures sans crise ! » Ces moments m’ont donné la force de continuer.
Mais le plus dur restait le regard des autres. À l’école maternelle, la directrice m’a reçue : « Madame Martin, nous ne sommes pas équipés pour accueillir deux enfants avec autant de besoins spécifiques… Peut-être devriez-vous envisager une structure spécialisée ? » J’ai eu envie de hurler : pourquoi mes enfants n’auraient-ils pas droit à l’école comme les autres ?
J’ai bataillé avec la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), rempli des dossiers épais comme des dictionnaires pour obtenir une AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire). Après des mois d’attente et d’appels sans réponse, j’ai fini par obtenir quelques heures par semaine. C’était peu, mais c’était déjà ça.
Paul n’a jamais vraiment donné signe de vie. Quelques SMS pour demander des nouvelles, jamais un mot pour proposer son aide ou voir les enfants. Parfois je me demande s’il a honte d’eux… ou de lui-même.
Financièrement, c’est la galère : entre les rendez-vous médicaux non remboursés, les séances d’orthophonie et d’ergothérapie privées faute de place dans le public… Je compte chaque euro. J’ai vendu ma voiture pour payer les factures en retard.
Mais il y a aussi des moments lumineux : le rire de Lucas quand je fais l’idiote avec une marionnette ; le regard tendre de Camille quand elle vient se blottir contre moi après une crise. Ces instants me rappellent pourquoi je me bats.
Un jour, lors d’une réunion à la mairie sur l’inclusion scolaire, j’ai pris la parole : « Mes enfants ont le droit d’être là. Ils ont le droit d’apprendre avec les autres. Ce n’est pas à eux de s’adapter à un système qui les exclut ! » J’ai vu quelques têtes approuver timidement. Peut-être que ça changera quelque chose…
Aujourd’hui encore, chaque journée est un défi. Mais je ne suis plus la même qu’il y a trois ans. J’ai appris à demander de l’aide sans honte, à célébrer chaque progrès aussi minuscule soit-il.
Parfois je me demande : combien d’autres mères vivent ce combat dans l’ombre ? Combien d’enfants comme Lucas et Camille attendent qu’on leur tende enfin la main ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?