« Tu ne fais rien de tes journées » : Le cri silencieux d’une mère en congé maternité

« Tu ne fais rien de tes journées, Claire. Le bébé dort, il mange, c’est tout. »

La voix de Paul résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau sur le marbre. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un appui dans la chaleur du liquide. Louis, notre fils de trois mois, dort dans son berceau, paisible. Mais en moi, c’est la tempête.

Je voudrais lui hurler que je n’ai pas dormi plus de deux heures d’affilée depuis des semaines. Que chaque pleur de Louis me transperce le cœur et me fait douter de moi-même. Que je me sens seule, enfermée dans cet appartement du 11ème arrondissement, alors que le monde continue de tourner dehors, indifférent à ma détresse.

Mais je ne dis rien. Je regarde Paul attraper sa veste, déjà pressé par le temps, par son travail à la mairie. Il soupire en jetant un œil à la vaisselle qui s’accumule dans l’évier.

— Tu pourrais au moins ranger un peu, non ?

Je baisse les yeux. J’ai honte. Honte de ne pas être cette mère parfaite qu’on voit sur Instagram, qui cuisine bio et sourit à longueur de journée. Honte d’avoir envie parfois de tout laisser tomber, de fuir.

Quand la porte claque derrière lui, je m’effondre sur la chaise. Les larmes coulent sans bruit. Je pense à ma mère, à ses conseils maladroits : « Profite, ça passe si vite… » Mais comment profiter quand chaque minute pèse une tonne ?

Louis se réveille en pleurant. Je me précipite vers lui, le prends dans mes bras. Il sent le lait tiède et la lessive. Je le berce doucement, murmurant des mots que je ne comprends plus moi-même.

— Chut… Maman est là…

Mais suis-je vraiment là ? Ou bien ai-je disparu derrière cette fatigue qui me ronge ?

À midi, je tente de préparer des pâtes. Louis réclame les bras, refuse de rester seul dans son transat. Je mange debout, à moitié froide, une fourchette dans une main et mon fils dans l’autre. Je pense à Paul, à ses collègues qui déjeunent en terrasse pendant que moi je jongle avec les couches sales et les biberons.

L’après-midi s’étire comme un vieux chewing-gum. Je marche en rond dans le salon pour endormir Louis, je plie du linge en silence. J’ouvre Instagram par réflexe : des photos de mamans rayonnantes, des bébés souriants. Je referme aussitôt l’application, le cœur serré.

Vers 17h, j’entends la clé tourner dans la serrure. Paul rentre plus tôt que d’habitude. Il pose son sac sans un mot et vient s’asseoir sur le canapé.

— Tu as l’air crevée…

Je ris nerveusement.

— Tu trouves ?

Il me regarde enfin, vraiment. Son visage se ferme.

— Écoute Claire… Je comprends que ce soit pas facile mais… Tu pourrais faire un effort pour que la maison soit un peu plus accueillante quand je rentre. J’ai eu une journée horrible.

Je sens la colère monter.

— Et moi ? Tu crois que c’est facile ? Tu crois que je passe mes journées à regarder la télé ?

Louis se met à pleurer. Paul lève les yeux au ciel.

— Voilà… Encore…

Je serre les dents.

— Tu sais quoi ? Prends-le dix minutes. Juste dix minutes.

Il hésite puis s’approche maladroitement du berceau. Louis hurle encore plus fort dans ses bras inexpérimentés. Paul me lance un regard désespéré.

— Il veut sa mère…

Je reprends mon fils, épuisée.

— Non Paul, il veut juste quelqu’un qui essaie vraiment.

Le silence tombe entre nous comme une chape de plomb. Je sens que quelque chose s’est brisé ce soir-là.

Les jours suivants sont tendus. On se parle à peine. Paul part tôt, rentre tard. Je m’enferme dans ma routine : biberons, lessive, promenades au parc Monceau où je croise d’autres mamans aussi fatiguées que moi mais qui affichent un sourire de façade.

Un soir, alors que Louis dort enfin, j’ose aborder le sujet avec Paul.

— Tu sais… J’ai besoin d’aide. J’ai besoin que tu comprennes que ce n’est pas facile pour moi non plus.

Il soupire.

— Je fais ce que je peux Claire… Mais tu ne te rends pas compte de la pression au boulot…

Je sens les larmes monter.

— Et moi ? Qui se rend compte de ma pression à moi ? Qui voit ce que je vis chaque jour ?

Il détourne les yeux. Un silence gênant s’installe.

— Peut-être qu’on devrait demander de l’aide… dit-il enfin.

J’acquiesce en silence. Peut-être qu’il a raison. Peut-être qu’on n’y arrivera pas seuls.

Cette nuit-là, alors que je veille Louis qui a de la fièvre, je repense à tout ce qu’on ne se dit pas. À toutes ces femmes invisibles derrière leurs fenêtres allumées tard le soir. À tous ces hommes qui croient bien faire mais ne voient pas l’épuisement dans les yeux de leur compagne.

Est-ce cela être mère aujourd’hui ? Porter seule le poids du quotidien pendant que l’autre regarde ailleurs ? Ou bien peut-on encore espérer se comprendre et avancer ensemble ?

Et vous… Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu l’impression d’être invisible chez vous ?