Ce n’est plus l’homme que j’ai épousé : Le désamour de Vincent

« Tu pourrais au moins faire un effort pour le dîner, Alexa. »

La voix de Vincent claque dans la cuisine comme une gifle. Je serre la cuillère en bois entre mes doigts, tentant de masquer le tremblement qui me parcourt. Les enfants, Aria et Jules, jouent dans le salon, inconscients du froid glacial qui s’est abattu sur notre appartement lyonnais depuis quelques mois.

Je me retourne lentement. « Tu veux dire quoi par là ? »

Il ne répond pas tout de suite. Il se contente de hausser les épaules, les yeux rivés sur son téléphone. Depuis quelque temps, il ne me regarde plus vraiment. Il me traverse, comme si j’étais devenue invisible.

Je repense à nos débuts, à cette complicité qui nous unissait. Vincent riait fort, il m’emmenait danser sur les quais du Rhône, il me murmurait des mots doux à l’oreille. Aujourd’hui, il ne reste que des reproches et des silences lourds.

Tout a commencé après la naissance des jumeaux. J’étais fatiguée, dépassée par ce double tourbillon de couches et de biberons. Vincent semblait d’abord compréhensif, mais très vite, il s’est éloigné. Et puis il y a eu sa mère, Monique.

Monique n’a jamais vraiment accepté notre couple. Elle trouvait toujours à redire sur ma façon d’élever les enfants, sur la décoration de notre appartement, sur mes origines modestes. « Chez nous, on fait autrement », répétait-elle en pinçant les lèvres.

Un soir, alors que je berçais Aria qui avait de la fièvre, Monique est entrée sans frapper dans la chambre. « Tu devrais la couvrir davantage », a-t-elle lancé d’un ton sec. J’ai senti la colère monter en moi, mais Vincent est arrivé derrière elle et m’a lancé un regard désapprobateur. Ce soir-là, j’ai compris que je n’aurais jamais sa protection.

Depuis, Vincent est devenu un autre homme. Il critique tout : la façon dont je parle aux enfants, ce que je cuisine, mes choix professionnels. J’ai repris mon poste à la médiathèque municipale à mi-temps pour souffler un peu, mais il n’a vu là qu’une preuve de mon égoïsme. « Tu penses à toi avant ta famille », m’a-t-il jeté un matin alors que je partais travailler.

Les disputes se sont multipliées. Parfois devant les enfants. Parfois dans le silence de notre chambre où chacun tourne le dos à l’autre. Je me suis surprise à pleurer sous la douche pour ne pas qu’on m’entende.

Un dimanche midi, alors que nous étions invités chez Monique à Villeurbanne, tout a explosé. Elle a servi son fameux gratin dauphinois et s’est tournée vers moi : « Alexa, tu devrais prendre exemple sur ma recette au lieu de faire ces plats exotiques que personne n’aime ici. »

Vincent a ri. Un rire froid, complice avec sa mère. J’ai senti mes joues brûler d’humiliation.

Sur le chemin du retour, j’ai craqué :
— Pourquoi tu ne me défends jamais ?
— Parce que tu cherches toujours à te victimiser !
— Tu ne vois donc pas ce qu’elle me fait subir ?
— Arrête Alexa… Tu dramatises tout.

J’ai compris ce jour-là que je n’étais plus sa priorité. Que peut-être je ne l’avais jamais été.

Les semaines suivantes ont été un enchaînement de petites humiliations quotidiennes : une remarque sur mon poids après la grossesse (« Tu pourrais faire un effort »), une critique sur mon organisation (« T’es vraiment désordonnée »), une réflexion sur mes amis (« Ils sont bizarres tes collègues »).

Un soir d’automne, alors que les enfants dormaient enfin, j’ai tenté une dernière fois d’ouvrir le dialogue :
— Vincent… Est-ce que tu m’aimes encore ?
Il a soupiré sans lever les yeux de son ordinateur :
— Je ne sais pas…

Le silence qui a suivi m’a glacée jusqu’aux os.

J’ai commencé à douter de moi. À me demander si tout était de ma faute. Si j’étais vraiment trop exigeante, trop sensible… Ou simplement trop fatiguée pour continuer à lutter seule contre deux fronts : mon mari et sa mère.

Un soir où je rentrais tard du travail, j’ai trouvé Aria en pleurs dans sa chambre. Vincent était devant la télé, indifférent. Je me suis assise près d’elle et elle m’a chuchoté : « Papa il crie beaucoup… Il dit que tu fais tout mal… »

Mon cœur s’est brisé.

Je me suis promis ce soir-là de protéger mes enfants coûte que coûte. Mais comment faire quand on se sent si seule ? Quand on n’a plus personne à qui se confier ? Ma propre mère vit loin, en Bretagne ; mes amies sont toutes happées par leur vie de famille ou leur carrière.

Je me suis mise à écrire dans un carnet chaque soir ce que je ressentais. La colère, la tristesse, mais aussi les petits bonheurs volés : un sourire d’Aria, un câlin maladroit de Jules…

Un matin d’hiver, alors que Vincent partait travailler sans un mot ni un regard pour moi, j’ai pris une décision : je ne pouvais plus continuer ainsi. J’ai appelé une conseillère conjugale du centre social du quartier Croix-Rousse. J’avais peur qu’il le découvre mais j’avais encore plus peur de sombrer.

La première séance a été douloureuse. J’ai tout raconté : les reproches constants, l’absence d’écoute, l’influence toxique de Monique… La conseillère m’a regardée avec bienveillance : « Vous avez le droit d’exister pour vous-même, Alexa. »

Pour la première fois depuis longtemps, j’ai pleuré devant quelqu’un sans honte.

Aujourd’hui encore rien n’est réglé. Vincent refuse de venir en thérapie avec moi. Il dit que c’est « des conneries de bobos ». Mais moi je continue d’y aller. Pour moi. Pour mes enfants.

Parfois je me demande : comment en sommes-nous arrivés là ? Est-ce possible de retrouver l’homme que j’ai aimé ou dois-je accepter qu’il n’existe plus ? Est-ce qu’on peut sauver un couple quand on est seule à vouloir se battre ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce qu’on doit tout supporter pour préserver une famille ou faut-il savoir partir avant de se perdre soi-même ?