Après la tempête : reconstruire ma vie, pierre après pierre
« Tu crois vraiment que tu vas y arriver toute seule ? » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine vide, entre les cartons empilés et les échos de mes pas fatigués. Je serre la poignée de la porte d’entrée, comme si elle pouvait m’ancrer à cette réalité nouvelle : je n’ai plus de maison. Après quinze ans de mariage avec Laurent, mon amour de lycée, tout s’est effondré en quelques mois. Les disputes, les silences, puis la séparation brutale. Il est resté dans notre appartement à Nantes ; moi, j’ai pris le train pour Angers avec une valise et ma dignité froissée.
Le soir, allongée sur le matelas posé à même le sol dans ce studio prêté par une amie, je me repasse le film de notre dernière dispute. « Tu ne comprends rien à mes besoins ! » avait-il crié. J’avais répliqué, la voix tremblante : « Et toi, tu as oublié qui je suis. » Les mots sont restés suspendus entre nous comme des couteaux. Depuis, je me demande : ai-je vraiment tout gâché ?
Les premiers mois ont été un enfer. Je me suis retrouvée à faire la queue à la CAF pour demander une aide au logement, moi qui n’avais jamais eu besoin de rien demander à personne. Ma fille Camille, 12 ans, a pleuré tous les soirs pendant deux semaines. « Pourquoi on ne peut pas rentrer à la maison ? » demandait-elle, les yeux rouges. Je n’avais pas de réponse.
J’ai repris un poste d’infirmière à l’hôpital d’Angers. Les horaires de nuit, les patients en détresse, ça me donnait l’impression d’être utile à quelqu’un, même si je n’arrivais plus à l’être pour moi-même. Un matin, en sortant du service, j’ai croisé Hélène, une collègue au sourire franc. « Viens boire un café chez moi ce soir », a-t-elle proposé. J’ai accepté sans réfléchir.
Chez Hélène, autour d’un verre de vin blanc et d’un plateau de fromages, j’ai raconté mon histoire. Elle m’a écoutée sans juger. « Tu sais Claire, reconstruire sa vie, c’est comme bâtir une maison après un incendie. Ça prend du temps, mais tu peux choisir chaque brique. » Cette phrase m’a poursuivie pendant des semaines.
J’ai décidé de chercher un terrain pour construire ma propre maison. Un projet fou pour certains, mais pour moi, c’était une façon de reprendre le contrôle. J’ai trouvé un petit terrain à la périphérie d’Angers, près d’un champ de tournesols. J’ai signé le compromis en tremblant.
Les travaux ont commencé au printemps. Chaque matin avant d’aller à l’hôpital, je passais sur le chantier. Voir les murs monter me donnait une force nouvelle. Camille dessinait des plans de sa future chambre et collait des post-it sur les murs en placo : « Ici, mon lit », « Là, mon bureau ». Pour la première fois depuis longtemps, j’ai senti poindre un espoir fragile.
C’est à ce moment-là que Paul est entré dans ma vie. Il était conducteur de travaux sur le chantier voisin. Grand, les yeux rieurs, il m’a proposé son aide pour porter des sacs de ciment. Au début, je me suis méfiée. Trop tôt, trop risqué. Mais il revenait chaque jour avec un café ou une blague sur les artisans du coin.
Un soir d’orage où la pluie tambourinait sur le toit inachevé, il m’a invitée à dîner dans une brasserie du centre-ville. « Tu sais Claire, tu n’es pas obligée d’être forte tout le temps », m’a-t-il dit en posant sa main sur la mienne. J’ai senti mes défenses vaciller.
Mais la peur ne m’a pas quittée. Peur de refaire confiance, peur de perdre encore ce que j’essaie de reconstruire. Ma mère n’a rien arrangé : « Tu vas trop vite avec ce Paul… Et si tu te trompais encore ? » Même Camille s’est refermée : « Tu vas encore partir si ça ne marche pas ? »
Les conflits familiaux se sont multipliés. Un dimanche midi chez mes parents à Cholet, ma sœur Sophie a lâché : « Tu devrais penser à Camille avant de penser à toi ! » J’ai explosé : « Et moi alors ? Je n’ai pas le droit d’être heureuse ? » Les larmes ont coulé sans que je puisse les retenir.
Paul a essayé d’être patient. Mais il sentait bien mes hésitations. Un soir où il m’a proposé d’emménager chez lui le temps que la maison soit finie, j’ai paniqué : « Je ne peux pas… J’ai trop peur de tout recommencer et de tout perdre encore… » Il a baissé les yeux : « Je ne suis pas Laurent… Je veux juste t’aider à croire en toi. »
Aujourd’hui, la maison est presque terminée. Les murs sont debout mais mon cœur reste fragile. Je regarde Camille jouer dans le jardin en riant avec Paul et je me demande : est-ce que je saurai aimer sans avoir peur ? Est-ce qu’on peut vraiment se reconstruire après avoir tout perdu ?
Et vous… avez-vous déjà eu peur d’aimer à nouveau ?