Quand mon foyer m’échappe : le combat d’une mère face à l’invasion de son fils et de sa belle-fille

— Non, Camille, je t’assure, ce n’est pas la peine de déplacer le buffet ! Il est très bien là où il est…

Ma voix tremble, mais Camille ne m’écoute pas. Elle pousse le meuble massif contre le mur opposé, essoufflée mais déterminée. Julien, mon fils, la regarde avec admiration. Moi, je me sens invisible dans mon propre salon.

Je m’appelle Françoise. J’ai 62 ans. Cette maison de banlieue, je l’ai achetée avec mon défunt mari, Bernard. On y a élevé nos deux enfants. J’y ai pleuré, ri, vieilli. Mais aujourd’hui, elle ne m’appartient plus vraiment.

Tout a commencé il y a six mois. Julien et Camille ont perdu leur emploi à cause d’une restructuration dans leur entreprise de communication. Ils n’avaient plus les moyens de payer leur loyer à Montreuil. « Maman, c’est temporaire », m’a dit Julien au téléphone. « Juste le temps de se retourner. »

J’ai accepté sans hésiter. C’est normal, non ? On aide ses enfants. Mais je n’avais pas prévu que Camille voudrait tout changer : la disposition des meubles, les rideaux, même la couleur des murs ! Elle a repeint la cuisine en vert anis sans même me demander mon avis.

— Tu comprends, Françoise, c’est plus lumineux comme ça !

Je me suis tue. Je n’aime pas le conflit. Mais chaque jour, je sens la colère monter. Julien ne voit rien. Il est absorbé par ses recherches d’emploi sur son ordinateur portable, installé sur MA table de salle à manger.

Le soir, ils s’installent devant la télé avec leurs plateaux-repas. Fini les dîners en famille où l’on discutait de tout et de rien. Maintenant, c’est Netflix et silence.

Un matin, je descends à la cuisine et trouve Camille en train de jeter mes vieilles casseroles.

— Elles sont toutes rayées, Françoise ! On va en acheter des neuves.

Je serre les poings. Ces casseroles, c’est Bernard qui me les avait offertes pour notre premier Noël ensemble…

Un dimanche, ma fille Sophie vient déjeuner avec ses enfants. Elle remarque tout de suite que quelque chose ne va pas.

— Maman, tu as l’air fatiguée…

Je fonds en larmes devant elle. Je lui raconte tout : l’invasion, le manque de respect, l’impression d’être une étrangère chez moi.

Sophie serre ma main.

— Tu dois leur parler, maman. Leur dire ce que tu ressens.

Mais comment faire ? J’ai peur de blesser Julien. Peur qu’il parte fâché et que je ne voie plus mon petit-fils Paul.

La situation empire quand Camille décide d’organiser une fête pour ses amis dans MON jardin sans me prévenir.

Le soir venu, je découvre une dizaine de jeunes trentenaires qui rient fort, fument et laissent traîner des canettes partout. Je me réfugie dans ma chambre avec un livre que je ne lis pas.

Le lendemain matin, je trouve le jardin saccagé. Mes pivoines sont piétinées.

C’en est trop.

Je frappe à la porte de leur chambre.

— Julien, il faut qu’on parle.

Il me regarde avec étonnement.

— Qu’est-ce qu’il y a, maman ?

— Je n’en peux plus… Je n’ai plus ma place ici. Je me sens exclue dans ma propre maison !

Camille intervient :

— On voulait juste t’aider à moderniser un peu…

— Mais je n’ai rien demandé ! Je veux juste retrouver un peu de paix chez moi.

Julien baisse les yeux. Il comprend enfin que je souffre.

Le soir même, ils viennent me voir dans la cuisine.

— On va chercher un autre logement, maman. On ne voulait pas te faire de mal…

Je suis soulagée mais aussi triste. Est-ce ça, être mère ? Donner sans compter jusqu’à s’effacer ?

Aujourd’hui, la maison est redevenue silencieuse. Trop silencieuse peut-être… Mais au moins, j’y respire à nouveau.

Parfois je me demande : pourquoi est-ce si difficile de poser des limites à ceux qu’on aime ? Est-ce que j’aurais dû parler plus tôt ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?