Quand Mamie choisit son camp : une histoire de famille déchirée
« Tu comprends, Claire, à mon âge, je n’ai plus l’énergie pour courir après un bébé… » La voix de ma belle-mère, Monique, résonne encore dans ma tête. Je me souviens de ce matin d’octobre, dans notre petit appartement de Lyon, où la fatigue me collait à la peau depuis la naissance de Paul. Mon mari, Julien, était déjà reparti travailler, et moi, je tenais à peine debout. J’avais osé demander de l’aide à Monique, espérant un peu de répit, un geste de tendresse. Mais elle avait secoué la tête, les lèvres pincées, et s’était levée pour partir. « Je suis désolée ma chérie, mais je ne peux vraiment pas. »
Je n’ai rien dit. J’ai serré Paul contre moi, le cœur serré. Je savais que Monique avait toujours été plus proche de sa fille, Sophie. Mais je n’aurais jamais cru qu’elle refuserait d’aider son petit-fils sous prétexte de fatigue. Pourtant, une semaine plus tard, j’ai vu sur Facebook une photo qui m’a glacée : Monique, radieuse, tenant dans ses bras le bébé de Sophie, à Grenoble. Elle souriait comme jamais je ne l’avais vue sourire avec Paul. « Première balade avec mon petit-fils ! » disait la légende. J’ai senti une colère sourde monter en moi.
Le soir même, j’ai montré la photo à Julien. Il a blêmi. « Ce n’est pas possible… Elle m’a dit qu’elle était fatiguée ! » Il a pris son téléphone et a appelé sa mère. Je l’entendais dans la cuisine :
— Maman, pourquoi tu n’as pas voulu aider Claire alors que tu es chez Sophie ?
— Oh Julien, ce n’est pas pareil… Sophie a eu une césarienne, elle a vraiment besoin de moi.
— Et Claire alors ? Elle est toute seule toute la journée !
Il a raccroché furieux. Je voyais bien qu’il était blessé lui aussi. Mais ce n’était que le début.
Les semaines ont passé. Monique passait tous ses week-ends à Grenoble chez Sophie. Elle postait des photos de promenades au parc Paul-Mistral, de goûters chez des amis, de biberons donnés en pleine nuit « avec amour ». Chez nous, elle ne venait plus que pour les anniversaires ou Noël, et encore… Elle arrivait en retard, repartait tôt. Paul grandissait sans vraiment connaître sa grand-mère.
Un dimanche de janvier, alors que Paul faisait ses premiers pas, j’ai craqué. J’ai envoyé un message à Monique : « Paul marche ! Tu veux venir le voir ? » Elle a répondu : « Je suis épuisée ce week-end… Une autre fois ? » Mais le lendemain, nouvelle photo sur Facebook : Monique au parc avec le bébé de Sophie dans les bras.
J’en ai parlé à ma mère qui habite à Villeurbanne. Elle m’a prise dans ses bras : « Ma pauvre chérie… On ne choisit pas sa belle-famille. » Mais moi je voulais comprendre. Pourquoi cette injustice ? Pourquoi cette préférence si flagrante ?
Julien s’est éloigné peu à peu. Il évitait le sujet, passait plus de temps au travail. Un soir, il a explosé : « Tu crois que ça me fait plaisir ? C’est ma mère ! Mais je ne peux pas la forcer à aimer Paul comme elle aime le fils de Sophie… »
J’ai pleuré longtemps cette nuit-là. J’avais l’impression d’être invisible, que mon fils n’avait pas droit au même amour que son cousin. J’ai commencé à douter de tout : de ma place dans cette famille, de mon couple même.
Un jour d’avril, nous avons été invités chez Sophie pour l’anniversaire du petit dernier. Toute la famille était là. Monique virevoltait autour du bébé, riait aux éclats. Quand Paul s’est approché d’elle avec son dessin à la main, elle lui a tapoté la tête distraitement : « C’est joli mon grand… » Puis elle est repartie vers Sophie.
Sur le chemin du retour, Paul m’a demandé : « Pourquoi Mamie ne veut jamais jouer avec moi ? » J’ai senti mon cœur se briser.
J’ai confronté Monique lors d’un déjeuner quelques semaines plus tard. Je tremblais en lui parlant :
— Monique… Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Pourquoi tu ne veux jamais passer du temps avec Paul ?
Elle a soupiré :
— Ce n’est pas contre toi Claire… Mais tu sais bien que Sophie a toujours eu besoin de moi. Toi tu es forte.
— Mais Paul n’a rien demandé ! Il voudrait juste connaître sa grand-mère…
Elle a baissé les yeux sans répondre.
Depuis ce jour-là, j’ai décidé de protéger mon fils et moi-même. J’ai arrêté d’attendre quelque chose qui ne viendrait jamais. J’ai construit notre cocon avec Julien et Paul, sans compter sur Monique.
Mais parfois, quand je vois Paul regarder les photos de famille en demandant pourquoi Mamie sourit plus avec son cousin qu’avec lui, je me demande : est-ce qu’on peut vraiment réparer ce genre d’injustice ? Est-ce que l’amour d’une grand-mère devrait être conditionné par des préférences ou des habitudes ?
Et vous… avez-vous déjà ressenti cette douleur d’être mis à l’écart dans votre propre famille ?