Mon Mari Me Demande de le Rembourser : Chronique d’une Rupture Annoncée
— Tu pourrais me faire un virement pour ta part du loyer ?
La voix de Guillaume résonne dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je reste figée, ma tasse de café tremblant entre mes mains. Il ne me regarde même pas ; il tapote sur son téléphone, comme si sa demande était la chose la plus naturelle du monde. Pourtant, à cet instant précis, tout bascule.
Je m’appelle Élodie, j’ai trente-sept ans, et je croyais avoir construit une vie solide avec l’homme que j’aimais. Nous vivons à Lyon, dans un appartement lumineux du 6ème arrondissement. J’ai toujours pensé que l’amour suffisait à tout surmonter. Mais ce matin-là, devant la table en bois que nous avons choisie ensemble chez Maisons du Monde, je comprends que quelque chose s’est brisé.
— Tu veux dire… pour ce mois-ci ?
Il relève enfin la tête, l’air agacé. — Non, pour tous les mois. Je trouve ça plus juste. On partage tout, non ?
Je sens mes joues chauffer. Depuis que j’ai perdu mon poste de chargée de communication il y a six mois, Guillaume paie la majorité des factures. J’ai toujours eu honte de cette situation, mais jamais il ne m’a reproché quoi que ce soit… jusqu’à aujourd’hui.
— Je cherche du travail, tu le sais…
Il hausse les épaules. — Je ne peux pas tout assumer indéfiniment. Ce n’est pas ce qu’on avait prévu.
Son ton est froid, presque administratif. Je me sens minuscule, comme une enfant prise en faute. Je voudrais crier, pleurer, mais je me contente de hocher la tête.
Les jours suivants, je tente de sauver les apparences. Devant nos amis, je souris, je plaisante. Je raconte que je profite de cette période pour me recentrer sur moi-même, que c’est une chance de pouvoir réfléchir à mon avenir professionnel. Mais chaque soir, en rentrant à la maison, je sens le poids du silence entre nous.
Un soir, alors que je prépare des pâtes au pesto — le plat préféré de Guillaume — il rentre plus tard que d’habitude. Il pose son sac sur la chaise et soupire bruyamment.
— Tu as pensé à payer ta part de l’électricité ?
Je serre les dents. — Oui… Je t’ai fait un virement ce matin.
Il ne répond pas. Il s’assoit devant la télé et zappe sans conviction. Je me demande où est passé l’homme qui me surprenait avec des bouquets de pivoines et des billets pour Avignon.
Le week-end suivant, nous sommes invités chez mes parents à Annecy. Ma mère remarque tout de suite mon air fatigué.
— Tu es sûre que tout va bien avec Guillaume ?
Je souris faiblement. — Oui, maman… C’est juste le stress de la recherche d’emploi.
Mais elle insiste : — Tu sais, l’argent ne doit jamais devenir un sujet tabou dans un couple.
Je détourne les yeux. Si seulement elle savait…
Le dimanche soir, sur le chemin du retour, Guillaume brise le silence :
— Tes parents pourraient t’aider un peu, non ? Après tout, tu es leur fille.
Je reste sans voix. J’ai grandi dans une famille modeste ; mes parents se sont toujours sacrifiés pour moi et mon frère. Leur demander de l’aide serait un aveu d’échec.
Les semaines passent et la tension monte. Un soir, alors que je consulte mes relevés bancaires pour la énième fois, Guillaume entre dans la chambre.
— Tu comptes rester comme ça longtemps ?
Je relève la tête : — Comme ça comment ?
— À vivre à mes crochets.
Ses mots me giflent. Je sens les larmes monter mais je refuse de pleurer devant lui.
— Ce n’est pas juste… Tu sais très bien que je fais tout pour retrouver du travail.
Il soupire : — Je ne veux pas d’une femme dépendante. Ce n’est pas ce que j’avais imaginé pour nous.
Cette nuit-là, je dors mal. Je repense à nos débuts : les balades sur les quais du Rhône, nos projets de voyage en Grèce… Où est passée cette complicité ?
Le lendemain matin, je reçois un appel pour un entretien dans une petite agence de communication à Villeurbanne. J’ai envie d’y croire, mais une part de moi sait déjà que rien ne sera plus jamais comme avant.
Après l’entretien — qui se passe plutôt bien — je rentre chez nous et trouve Guillaume en train de faire ses comptes sur Excel.
— Tu as pensé à ta part de l’assurance habitation ?
Je le regarde longuement. — Tu veux vraiment qu’on continue comme ça ? À tout compter ? À faire des virements pour chaque dépense ?
Il hausse les épaules : — C’est normal. On est adultes.
Je sens une colère sourde monter en moi. — Non, ce n’est pas normal ! Ce n’est pas ça un couple !
Il me fixe sans émotion : — Peut-être qu’on n’a plus la même vision des choses.
Le soir même, j’appelle ma meilleure amie Camille.
— Élodie… tu ne peux pas vivre comme ça. Ce n’est pas juste pour toi.
Sa voix me réchauffe le cœur. Pour la première fois depuis des semaines, je pleure vraiment. Pas de honte ni de colère : juste une immense tristesse.
Quelques jours plus tard, je reçois une réponse positive pour le poste à Villeurbanne. Je saute de joie mais au fond de moi, je sais que ce n’est qu’un pansement sur une blessure plus profonde.
Le soir venu, j’annonce la nouvelle à Guillaume. Il sourit poliment mais son regard reste distant.
— Félicitations… Tu vas pouvoir payer ta part sans problème maintenant.
Je comprends alors que rien ne changera jamais vraiment entre nous.
Quelques semaines plus tard, je décide de partir. Je trouve un petit studio près du parc de la Tête d’Or. Le premier soir dans mon nouvel appartement, je m’assois sur le lit et regarde par la fenêtre les lumières de Lyon qui scintillent.
Je repense à tout ce que j’ai traversé : la honte, la peur du jugement des autres, le sentiment d’échec… Mais aussi cette fierté d’avoir choisi ma dignité plutôt que le confort d’une vie à deux qui n’en était plus une.
Est-ce vraiment l’argent qui détruit les couples ou bien ce qu’il révèle sur nous-mêmes ? Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour sauver les apparences ?