Entre le silence et les non-dits : chronique d’une mère déchirée
« Tu ne comprends pas, Paul ! Depuis que tu es avec elle, tu n’es plus le même… » Ma voix tremble, mais je ne peux plus retenir ce flot d’émotions qui me submerge. Paul détourne les yeux, gêné, tandis que Camille, assise à côté de lui dans notre salon de Tours, serre la main de mon fils comme pour le protéger de moi. Je sens mon cœur se serrer. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Je m’appelle Hélène. J’ai élevé Paul seule après le départ de son père, et il a toujours été mon univers. Nous partagions tout : nos promenades au bord de la Loire, nos soirées cinéma, nos secrets. Mais depuis deux ans, depuis que Camille est entrée dans sa vie, j’ai l’impression d’être reléguée au second plan. Camille… Elle est douce, polie, mais je sens qu’elle m’éloigne de mon fils. Peut-être est-ce moi qui me fais des idées ? Ou peut-être est-ce cette peur viscérale de finir seule qui me pousse à voir le mal partout.
Un soir d’automne, alors que je prépare un gratin dauphinois pour leur venue, j’entends Paul rire avec Camille dans l’entrée. Leur complicité me blesse plus que je ne veux l’admettre. Je décide alors d’agir, persuadée que je dois « ouvrir les yeux » à Paul sur la vraie nature de sa femme. Je commence par de petites remarques : « Tu sais, Paul, ta femme a oublié de me remercier pour le dîner la dernière fois… » ou encore « Camille a l’air fatiguée ces temps-ci, tu ne trouves pas ? » Mais Paul esquive ou défend toujours sa femme.
Un dimanche, alors que nous sommes réunis pour l’anniversaire de Paul, je surprends une conversation entre Camille et sa mère au téléphone :
— Oui maman, Hélène est encore un peu froide avec moi… Je fais des efforts mais j’ai l’impression qu’elle ne m’acceptera jamais vraiment.
Ces mots me frappent en plein cœur. Suis-je vraiment si terrible ? Mais la jalousie reprend vite le dessus. Je décide d’aller plus loin. J’invente une histoire :
— Paul, tu sais, j’ai croisé ton ancienne amie Sophie au marché. Elle m’a dit qu’elle regrettait beaucoup votre rupture…
Paul me regarde avec étonnement :
— Maman, pourquoi tu me parles de Sophie ? C’est du passé.
Camille baisse les yeux. Je sens que j’ai semé un doute. Mais au lieu de me sentir soulagée, une étrange culpabilité m’envahit.
Les semaines passent et l’ambiance devient pesante. Paul vient moins souvent. Il m’appelle à peine. Un soir, il débarque seul chez moi.
— Maman, il faut qu’on parle.
Son ton est grave. Il s’assoit en face de moi.
— Camille souffre beaucoup de la situation. Elle pense que tu ne l’aimes pas… Et moi… Je ne veux pas choisir entre vous deux.
Je sens mes mains trembler. La peur me glace.
— Tu veux dire que tu pourrais t’éloigner de moi ?
Il hoche la tête tristement.
— Si ça continue comme ça… oui.
Je fonds en larmes. Tout ce que j’ai voulu éviter est en train d’arriver. J’ai voulu garder mon fils près de moi à tout prix et je suis en train de le perdre.
Quelques jours plus tard, Camille vient me voir seule. Elle s’assied timidement dans ma cuisine.
— Hélène… Je sais que ce n’est pas facile pour vous. Mais je vous aime beaucoup, vous savez ? Je voudrais qu’on soit une famille…
Sa sincérité me bouleverse. Je réalise alors tout le mal que j’ai causé par peur et par orgueil.
Aujourd’hui, j’essaie de réparer mes erreurs. J’apprends à laisser Paul vivre sa vie et à accepter Camille comme ma propre fille. Mais parfois, la solitude me rattrape et je me demande : pourquoi l’amour maternel peut-il devenir si possessif ? Est-ce vraiment aimer que vouloir garder pour soi ceux qu’on aime ?
Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à aller par peur de perdre ceux qui comptent le plus ?