Ne laisse jamais entrer une amie célibataire : Le poids d’un conseil maternel
« Tu ne comprends pas, maman, Élodie est comme ma sœur ! » Ma voix tremble alors que je referme la porte de la cuisine derrière moi. Ma mère, assise à la table, me regarde avec ce mélange d’inquiétude et de certitude qui m’a toujours agacée. « Camille, écoute-moi bien. On ne laisse jamais une amie célibataire franchir le seuil de sa maison quand on est mariée. C’est comme ça. »
Cette phrase, prononcée un soir de janvier alors que mon fils dormait à l’étage, s’est incrustée dans mon esprit comme une écharde. Depuis, chaque fois qu’Élodie m’appelle, chaque fois qu’elle propose de passer boire un café, je sens mon cœur se serrer. Pourtant, Élodie et moi, c’est vingt ans d’amitié, des secrets partagés sous les draps lors des soirées pyjama, des rires étouffés dans les couloirs du lycée de Nantes, des larmes séchées sur ses épaules après ma première rupture.
Mais tout a changé après la naissance de Paul. Je suis devenue mère, et soudain, le monde s’est rétréci autour de moi. Mon mari, Julien, travaille tard. Les nuits sont courtes, les journées longues. Élodie est restée fidèle au poste : elle m’apporte des plats faits maison, elle berce Paul pour que je puisse prendre une douche, elle m’écoute me plaindre de la fatigue et du manque de reconnaissance. Pourtant, depuis cette phrase maternelle, je la regarde différemment.
Un samedi après-midi, alors que Paul dort enfin dans son berceau, Élodie débarque sans prévenir. Elle porte une robe rouge éclatante qui fait ressortir ses cheveux blonds. Julien est là, assis sur le canapé avec son ordinateur portable. Je sens une pointe d’agacement monter en moi.
— Salut ! J’ai pensé que tu aurais besoin d’un peu de compagnie…
Je force un sourire.
— Oui… entre.
Elle s’installe dans la cuisine et commence à me raconter ses dernières aventures amoureuses. Je ris, mais mon regard glisse vers Julien qui lève à peine les yeux de son écran. Soudain, je me surprends à observer la façon dont il sourit à ses blagues, comment il lui sert un café sans que je le lui demande. Un doute insidieux s’insinue en moi.
Le soir venu, alors qu’Élodie est partie et que Paul pleure dans sa chambre, je m’effondre sur le lit.
— Tu trouves qu’Élodie est jolie ?
Julien me regarde, surpris.
— Bien sûr qu’elle est jolie. Mais pourquoi tu me demandes ça ?
Je détourne les yeux.
— Rien… Juste comme ça.
Les jours passent et la phrase de ma mère tourne en boucle dans ma tête. Je commence à éviter Élodie. Je réponds moins vite à ses messages. Je prétexte la fatigue pour décliner ses invitations. Un dimanche matin, elle débarque devant ma porte avec un bouquet de tulipes jaunes.
— Camille, tu m’évites ?
Je sens les larmes monter.
— Non… C’est juste… Je suis fatiguée…
Elle pose sa main sur la mienne.
— Tu sais que tu peux tout me dire ?
Je voudrais lui hurler que j’ai peur. Peur qu’elle prenne ma place dans le cœur de Julien. Peur qu’elle voie à quel point je me sens seule malgré tout ce que j’ai. Peur d’être jugée par ma propre mère si jamais il arrivait quelque chose.
Mais je me tais.
Les semaines passent et notre amitié s’effrite. Un soir d’été, alors que Paul fête ses six mois, je reçois un message d’Élodie : « On se voit ? J’ai besoin de toi. » Je reste figée devant l’écran. Julien rentre tard ce soir-là ; je suis seule avec mes pensées et le silence assourdissant de l’appartement.
Je repense à toutes ces années où Élodie a été là pour moi. À toutes ces fois où elle a sacrifié ses soirées pour me consoler ou m’aider à réviser mes partiels. Et maintenant ? Je la repousse parce qu’une vieille peur transmise par ma mère me ronge de l’intérieur.
Je prends mon téléphone et compose son numéro.
— Allô ?
Sa voix tremble.
— Camille… J’ai l’impression que tu ne veux plus de moi dans ta vie.
Je fonds en larmes.
— Je suis désolée… C’est juste que… Ma mère m’a dit quelque chose et ça m’a fait douter de tout…
Un silence lourd s’installe.
— Tu crois vraiment que je pourrais te trahir ?
Je secoue la tête même si elle ne peut pas me voir.
— Non… Mais j’ai peur. Peur de perdre ce que j’ai construit…
Elle soupire doucement.
— Tu sais, la solitude n’est pas contagieuse. Mais la méfiance, oui.
Cette phrase me frappe en plein cœur. Je réalise alors que c’est moi qui ai laissé entrer le doute chez moi, pas Élodie.
Quelques jours plus tard, je décide d’inviter Élodie à dîner avec Julien et Paul. La soirée est simple mais chaleureuse. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens légère. Ma mère appelle le lendemain.
— Alors ? Tu as suivi mon conseil ?
Je souris tristement au téléphone.
— Non maman… J’ai décidé de faire confiance à mon amie plutôt qu’à mes peurs.
Aujourd’hui encore, il m’arrive d’avoir des moments de doute. Mais je sais que l’amitié véritable ne se mesure pas à une phrase lancée par une mère inquiète. Elle se construit chaque jour, malgré les tempêtes et les peurs ancestrales.
Est-ce que vous aussi vous avez déjà laissé une parole venue du passé bouleverser vos relations ? Jusqu’où iriez-vous pour protéger votre famille… ou votre amitié ?