Le Silence Entre Nous : Quand l’Envie d’Enfant Devient un Mur
« Tu ne comprends donc pas ? Je ne veux pas d’enfant, Camille. Pas maintenant. Peut-être jamais. »
La voix d’Antoine résonne encore dans la cuisine, froide et tranchante comme la lame d’un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un peu de chaleur dans ce matin de novembre où la pluie tambourine contre les vitres de notre appartement à Lyon. Je voudrais crier, pleurer, mais je reste figée, incapable de répondre. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Il y a sept ans, tout était simple. Antoine et moi, deux étudiants à l’université Lumière Lyon 2, passions nos soirées à refaire le monde sur les quais du Rhône. Il me faisait rire, il me faisait rêver. Nous avons emménagé ensemble dans ce petit appartement du 7e arrondissement, puis nous nous sommes mariés à la mairie du 3e, entourés de nos familles et amis. Tout le monde disait que nous étions faits l’un pour l’autre.
Mais depuis quelques mois, une ombre s’est glissée entre nous. J’ai trente-trois ans, et mon désir d’enfant est devenu une urgence sourde, un appel viscéral qui me réveille la nuit. Je regarde mes amies – Élodie, déjà maman de deux petits garçons ; Claire, enceinte de son premier – et je ressens une jalousie honteuse mêlée à une tristesse profonde. Pourquoi pas moi ?
Antoine, lui, fuit le sujet. Il se plonge dans son travail d’ingénieur, rentre tard, s’invente des réunions. Quand j’essaie d’aborder la question, il détourne les yeux ou s’emporte :
— Tu veux vraiment qu’on gâche tout ce qu’on a construit ? Un enfant, c’est la fin de notre liberté !
Je me sens incomprise, trahie. N’avons-nous pas parlé de tout cela avant ? Je fouille dans ma mémoire : au début, il disait « plus tard », en souriant. Mais le « plus tard » s’est transformé en « jamais » sans que je m’en rende compte.
Un soir, lors d’un dîner chez mes parents à Villeurbanne, ma mère pose la question fatidique :
— Alors, c’est pour quand le petit ?
Je sens Antoine se raidir à côté de moi. Je souris maladroitement.
— On y pense…
Dans la voiture du retour, le silence est lourd. Puis il explose :
— Tu n’as pas honte de mentir à ta famille ?
— Et toi ? Tu n’as pas honte de me laisser espérer ?
Les mots claquent comme des gifles. Nous ne nous parlons plus pendant deux jours.
Je commence à douter de moi. Suis-je égoïste de vouloir un enfant à tout prix ? Ou est-ce lui qui refuse de grandir ? Je consulte une psychologue, Madame Lefèvre, qui m’écoute sans juger.
— Camille, avez-vous peur de perdre Antoine si vous insistez ?
— Oui… Mais j’ai encore plus peur de me perdre moi-même si je renonce à ce désir.
Les semaines passent. Les disputes deviennent plus fréquentes. Un soir, Antoine rentre ivre d’un afterwork et s’effondre sur le canapé.
— Tu vas finir par me quitter pour un autre qui veut bien te faire un gosse…
Je m’assieds à côté de lui, les larmes aux yeux.
— Je ne veux pas te quitter… Mais je ne peux pas non plus renoncer à ce rêve.
Il me regarde enfin, vraiment. Ses yeux sont rouges, fatigués.
— Je t’aime, Camille. Mais je ne veux pas être père. Je ne veux pas devenir comme mon propre père… Absent, froid… Je ne veux pas te faire ça.
Pour la première fois, il parle de son enfance difficile à Grenoble, des silences pesants à table, des colères imprévisibles de son père. Je comprends mieux sa peur. Mais cela ne change rien à mon désir.
Nous décidons de faire une pause. J’emménage chez Claire pour quelques semaines. Les jours passent lentement. Je me surprends à regarder les familles dans le parc de la Tête d’Or avec une douleur aiguë au ventre.
Un soir, Antoine m’appelle.
— On ne peut pas continuer comme ça… Je t’aime trop pour te priver de ce que tu veux le plus au monde.
Sa voix tremble. La mienne aussi.
— Et moi, je t’aime trop pour t’imposer une vie que tu ne veux pas.
Nous nous retrouvons une dernière fois au café où nous avions eu notre premier rendez-vous. Il pleut encore – décidément, novembre n’en finit pas – mais cette fois-ci, nous sommes calmes. Nous savons que c’est la fin.
Je rentre seule chez moi ce soir-là. Le silence est assourdissant. Mais au fond de moi, une petite lumière vacille : celle de l’espoir d’un avenir où je pourrai être pleinement moi-même.
Est-ce égoïste de choisir son bonheur au risque de perdre l’amour ? Ou faut-il parfois accepter que certains rêves sont incompatibles ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?