Sous le même toit, deux solitudes : Mon combat pour renaître
« Tu pourrais au moins faire un effort, Claire. »
La voix de Julien résonne dans la cuisine, froide comme la porcelaine de la tasse qu’il vient de poser un peu trop fort sur la table. Je serre les poings, les ongles s’enfonçant dans ma paume. Il est 7h12, le café fume encore, mais déjà la tension est là, palpable, épaisse comme le brouillard sur les quais du Rhône. Je voudrais lui répondre, crier même, mais je ravale mes mots. Depuis combien de temps n’avons-nous pas échangé un vrai sourire ?
Je me souviens de notre mariage à la mairie du 6ème arrondissement, il y a huit ans. Ma mère, Élise, pleurait d’émotion. Mon père, Bernard, m’avait serrée dans ses bras en murmurant : « Tu es sûre de toi, ma fille ? » J’avais ri, insouciante. J’étais amoureuse. Mais l’amour s’est effrité, lentement, insidieusement. Les disputes sont devenues des silences, puis des regards fuyants. Julien n’était plus l’homme tendre qui me murmurait des mots doux le soir. Il était devenu un étranger, exigeant, distant.
Un soir d’hiver, alors que la neige tombait sur la place Bellecour, j’ai craqué. J’ai appelé ma sœur, Sophie. « Je n’en peux plus… Il ne me parle plus que pour me reprocher quelque chose. » Elle a soupiré : « Tu devrais partir, Claire. » Mais partir… Où ? Avec quel courage ? J’avais peur du regard des autres, peur de décevoir mes parents, peur de briser cette image de famille parfaite que nous donnions lors des repas du dimanche.
Les mois ont passé. Julien rentrait de plus en plus tard. Parfois il ne rentrait pas du tout. Je priais chaque soir dans notre chambre glacée : « Seigneur, donne-moi la force… » Ma foi était mon seul refuge. À l’église Saint-Nizier, je retrouvais un peu de paix. Le père François m’écoutait sans juger : « Dieu ne veut pas que tu souffres ainsi, Claire. » Mais comment expliquer à ma belle-mère, Monique, si attachée aux traditions familiales ? Elle répétait sans cesse : « Un mariage, c’est pour la vie. Il faut savoir pardonner. »
Un matin de mai, tout a basculé. Julien a claqué la porte derrière lui après une énième dispute stérile. Je suis restée seule dans le salon, le cœur battant à tout rompre. J’ai regardé autour de moi : les photos de vacances à Arcachon, les cadeaux de mariage poussiéreux sur l’étagère… Et soudain j’ai compris : je n’étais plus chez moi depuis longtemps.
J’ai pris mon sac et je suis sortie marcher sur les berges du Rhône. L’air était doux, les passants pressés ne voyaient pas mes larmes. J’ai prié encore : « Seigneur, guide-moi… » Et pour la première fois depuis des années, j’ai senti une petite lumière en moi.
Le soir même, j’ai appelé Sophie : « Je veux partir. » Elle m’a accueillie chez elle à Villeurbanne. Mes parents ont été bouleversés mais m’ont soutenue : « On t’aime, Claire. Ce qui compte c’est ton bonheur. »
Julien n’a pas compris. Il a crié, menacé de tout raconter à nos amis communs : « Tu veux salir mon nom ? » Mais je n’avais plus peur. J’ai trouvé un petit appartement près de la Croix-Rousse et un travail à mi-temps dans une librairie. Les premiers mois ont été difficiles ; la solitude me pesait parfois plus que l’absence de Julien.
Mais chaque dimanche à l’église, je priais pour lui – et pour moi surtout. J’ai rencontré d’autres femmes qui avaient vécu des histoires similaires : Marie-Pierre, qui avait fui un mari violent ; Hélène, qui élevait seule ses deux enfants après un divorce douloureux. Ensemble nous avons formé un cercle de soutien.
Un jour d’automne, alors que je rangeais des livres sur les étagères de la librairie, une cliente m’a souri : « Vous avez l’air heureuse aujourd’hui ! » J’ai souri à mon tour – et j’ai compris que c’était vrai.
Aujourd’hui encore, il m’arrive d’avoir peur de l’avenir. Mais je sais que je ne suis plus seule. Ma foi m’a portée quand tout semblait perdu ; mes proches m’ont tendu la main quand je sombrais.
Parfois je me demande : combien de femmes vivent encore dans le silence et la honte ? Combien osent enfin dire stop ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?