Pourquoi Mon Mari Compare Ma Cuisine à Celle des Autres : Une Soirée Qui a Tout Changé
« Tu sais, le gratin de Camille était vraiment exceptionnel… Elle a une façon de le faire, c’est crémeux, léger… »
Je serre la fourchette entre mes doigts. La pluie tambourine contre les vitres du salon, et la lumière jaune de la cuisine donne à la pièce une chaleur trompeuse. Paul ne lève même pas les yeux vers moi. Il continue de manger, insouciant, ignorant la tempête qui gronde en moi.
« Tu pourrais peut-être lui demander sa recette ? » ajoute-t-il, sans malice apparente.
Je sens mes joues brûler. Ce n’est pas la première fois. Depuis des mois, Paul compare mes plats à ceux de Camille, la femme de son collègue Jérôme. Toujours Camille. Toujours ce ton admiratif dans sa voix. Je me suis tue trop longtemps. Ce soir, quelque chose se brise.
« Tu veux que j’aille dîner chez eux tous les soirs ? » Ma voix tremble. Paul relève enfin la tête, surpris par ma réaction.
« Mais non, je disais juste que… »
« Que je ne suis pas assez bien ? Que ma cuisine ne vaut rien ? »
Le silence s’installe. Je vois dans ses yeux qu’il ne comprend pas. Ou qu’il ne veut pas comprendre. Il soupire, se lève et va ranger son assiette sans un mot. Je reste seule à table, le cœur serré.
Ce n’est pas qu’une histoire de gratin. C’est tout ce que ça représente : l’impression de ne jamais être à la hauteur, d’être invisible dans mon propre foyer. Depuis que nous avons emménagé dans ce petit appartement à Nantes, j’ai tout fait pour que Paul se sente bien. J’ai quitté mon poste à la médiathèque pour suivre sa mutation. J’ai laissé mes amis, ma famille, mes repères.
Et lui… Il ne voit rien. Il ne voit que ce qui manque.
Plus tard dans la soirée, alors que je range la cuisine, ma mère m’appelle. « Alors, comment va Paul ? Il t’aide un peu plus à la maison ? » Je mens : « Oui maman, il est fatigué en ce moment mais ça va… »
Je n’ose pas lui dire que je me sens seule. Que j’ai l’impression d’être une étrangère dans ma propre vie.
Le lendemain matin, Paul part tôt au travail. Je reste allongée dans le lit, incapable de bouger. Les mots d’hier résonnent encore dans ma tête. Je pense à Camille : elle travaille à mi-temps, elle a trois enfants et pourtant elle trouve le temps de faire des plats dignes d’un restaurant étoilé. C’est ce que Paul dit toujours.
Je me demande si c’est vrai ou si c’est juste une image qu’il s’est construite pour mieux me reprocher mes faiblesses.
À midi, je croise notre voisine, Madame Lefèvre, dans l’ascenseur. Elle me sourit : « Vous avez bonne mine aujourd’hui ! » Je souris poliment mais je sens mes yeux s’embuer.
En rentrant chez moi, je m’effondre sur le canapé. Pourquoi est-ce si difficile ? Pourquoi ai-je l’impression de devoir prouver ma valeur chaque jour ?
Le soir venu, Paul rentre plus tard que d’habitude. Il pose son sac sans un mot et va directement sous la douche. Je prépare le dîner machinalement : des pâtes au beurre, rien d’extraordinaire. Quand il s’assoit à table, il remarque : « Tu n’as pas fait de sauce ? »
Je craque.
« Tu sais quoi ? Demain tu iras manger chez Camille si tu veux ! Moi j’en ai marre ! Marre de tes comparaisons, marre de tes critiques ! »
Paul me regarde comme si je venais de lui annoncer une catastrophe.
« Mais enfin Lucie… Qu’est-ce qui te prend ? »
« Ce qui me prend ? C’est que j’en ai assez d’être jugée ! Tu ne vois jamais ce que je fais bien ! Tu ne vois que ce qui manque ! »
Il reste silencieux un long moment puis finit par dire : « Je ne voulais pas te blesser… »
Les larmes coulent sur mes joues sans que je puisse les retenir.
« Peut-être que tu ne voulais pas… Mais tu l’as fait quand même. »
Cette nuit-là, nous dormons dos à dos. Le lendemain matin, Paul part sans un mot.
Je décide d’appeler Camille. Oui, Camille elle-même. Je prends sur moi et lui demande si elle veut prendre un café avec moi. Elle accepte avec enthousiasme.
Au café du coin, elle me confie qu’elle aussi se sent souvent jugée par Jérôme. Qu’elle cuisine pour oublier ses angoisses et pour se sentir utile. Nous rions ensemble de nos ratés culinaires et de nos maris éternellement insatisfaits.
En rentrant chez moi ce soir-là, je me sens plus légère. J’ai compris que je n’étais pas seule à porter ce fardeau invisible des attentes familiales et sociales.
Quand Paul rentre du travail, il trouve une lettre sur la table :
« Paul,
Je t’aime mais je ne veux plus être comparée à une autre femme ou à une autre épouse idéale qui n’existe pas. J’ai besoin que tu voies qui je suis vraiment et tout ce que je fais pour nous deux.
Lucie »
Il vient me rejoindre dans la chambre quelques minutes plus tard.
« Lucie… Je suis désolé. Je crois que j’ai été aveugle. »
Pour la première fois depuis longtemps, il me prend dans ses bras sans rien dire d’autre.
Ce soir-là, il ne s’agit plus de gratin ni de recettes parfaites. Il s’agit de nous deux, face à nos failles et nos attentes déçues.
Est-ce qu’on peut vraiment aimer quelqu’un sans le comparer aux autres ? Est-ce qu’on peut apprendre à voir l’autre tel qu’il est — imparfait mais sincère ? Qu’en pensez-vous ?