Pourquoi Maman a-t-elle choisi Paul plutôt que moi ?

« Tu ne comprends pas, Camille. Ce n’est pas aussi simple… » La voix de ma mère tremble, ses mains serrent nerveusement la tasse de café. Je suis debout, face à elle, le cœur battant à tout rompre. J’ai vingt-huit ans aujourd’hui, mais devant elle, je redeviens cette petite fille de neuf ans, valise à la main, qui regarde sa mère refermer la porte derrière elle.

Je revois cette scène comme si c’était hier. Nous étions dans notre petit appartement à Nantes. Paul venait d’emménager. Il avait ce regard froid, distant. Un soir, alors que je rentrais de l’école, j’ai surpris une conversation. Paul disait : « Je ne peux pas vivre avec elle. Ce n’est pas ma fille. » Ma mère a baissé la voix, mais j’ai compris. Quelques semaines plus tard, elle m’a envoyée vivre chez ma grand-mère à Angers. Elle m’a dit que c’était « pour mon bien », que « tout irait mieux ainsi ».

Pendant des années, j’ai attendu un appel, une lettre, un signe. Mais rien. Les anniversaires passaient, les Noëls aussi. Ma grand-mère essayait de combler le vide, mais rien ne remplaçait l’absence de ma mère. À l’école, mes camarades parlaient de leurs familles recomposées comme d’une aventure ; pour moi, c’était un exil.

À seize ans, j’ai tenté de renouer. J’ai pris le train seule jusqu’à Nantes. J’ai sonné à la porte. Paul a ouvert. Il m’a regardée comme une étrangère. « Ta mère n’est pas là », a-t-il dit sèchement avant de refermer la porte. J’ai attendu sur le trottoir pendant des heures. Quand elle est enfin rentrée, elle m’a prise dans ses bras, mais son étreinte était raide, gênée.

« Camille, tu dois comprendre… Paul a eu une enfance difficile. Il a besoin de stabilité », m’a-t-elle expliqué ce soir-là. Mais pourquoi étais-je l’instabilité ? Pourquoi étais-je le problème ?

Les années ont passé. J’ai fait des études de droit à Rennes, j’ai essayé d’avancer. Mais chaque fois que je voyais une mère et sa fille dans la rue, une boule se formait dans ma gorge. Je me demandais ce que j’avais fait de mal.

Puis il y a eu cette lettre. Je l’ai trouvée dans les affaires de ma grand-mère après sa mort. Une lettre de ma mère à ma grand-mère :

« Maman,
Paul ne supporte pas Camille. Il dit qu’il ne peut pas vivre avec elle sous le même toit. Je ne sais plus quoi faire. Je me sens coupable mais je veux sauver mon couple… »

J’ai relu ces mots des dizaines de fois. Ma mère avait choisi son mari plutôt que moi.

Je suis retournée la voir à Nantes, des années après. Cette fois-ci, je n’ai pas frappé à la porte en tremblant. J’étais venue chercher des réponses.

« Pourquoi ? Pourquoi lui plutôt que moi ? »

Elle a pleuré longtemps avant de parler.

« J’étais jeune… J’avais peur d’être seule… Paul m’a dit qu’il partirait si tu restais… Je croyais que tu serais mieux chez ta grand-mère… »

Je l’ai regardée, incapable de parler. Toute ma vie, j’avais cru que c’était de ma faute.

Aujourd’hui encore, je cherche comment avancer avec cette vérité. Comment pardonner ? Comment se reconstruire quand on a été rejeté par la personne qui aurait dû nous aimer sans condition ?

Parfois je me demande : est-ce qu’on peut vraiment guérir d’un tel abandon ? Est-ce que vous auriez fait différemment à la place de ma mère ?