« Mais maman, tu pouvais toujours… » : Un été à m’oublier
« Mais maman, tu pouvais toujours dire non… »
La voix de mon fils résonne encore dans la cuisine, froide et tranchante comme une lame. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, le regard perdu dans la buée qui s’accroche à la fenêtre. Dehors, la pluie de septembre martèle le trottoir de notre petite ville de province. L’été est fini. Et moi, je me sens vidée, comme si on m’avait arraché quelque chose d’essentiel.
Tout a commencé en mai. Pierre et Claire sont venus dîner un dimanche soir. Les enfants couraient partout, Léa avec ses nattes défaites, Hugo qui criait pour un rien. Pierre a posé sa main sur la mienne : « Maman, on a besoin de toi cet été. » Claire a ajouté, les yeux brillants : « On ne veut pas mettre les enfants en centre aéré. Tu es la meilleure mamie du monde ! »
J’ai souri, flattée. Qui n’a jamais rêvé d’entendre ça ? J’ai dit oui sans réfléchir. Après tout, ce n’était que pour quelques semaines…
Mais les semaines sont devenues des mois. Dès le premier lundi de juillet, j’ai retrouvé mes habitudes de jeune maman : réveil à 7h, tartines au beurre salé, disputes pour s’habiller, courses au marché. Les enfants réclamaient sans cesse mon attention. « Mamie, regarde ! Mamie, viens ! » Je courais partout : au parc, à la piscine municipale, chez le médecin pour une angine soudaine.
Au début, j’étais heureuse. Je retrouvais la joie simple d’un goûter partagé sous le tilleul du jardin. Mais très vite, la fatigue s’est installée. Mes genoux me faisaient mal le soir. Je n’avais plus une minute à moi. Pierre et Claire rentraient tard, souvent après 20h. « On a eu une réunion de dernière minute », s’excusait Claire par SMS.
Un soir de juillet, alors que je berçais Léa qui pleurait parce qu’elle voulait sa mère, j’ai senti une boule dans ma gorge. J’ai pensé à mes propres étés d’enfant, à la plage de Saint-Malo avec mes parents. Je me suis demandé si mes petits-enfants se souviendraient de ces moments ou si tout cela ne serait qu’un souvenir flou pour eux.
Les tensions ont commencé fin juillet. Un samedi matin, Pierre est arrivé en trombe :
— Maman, tu pourrais faire un effort pour que les enfants mangent plus de légumes !
J’ai senti la colère monter.
— Tu crois que je ne fais pas d’efforts ? Tu sais ce que c’est de gérer deux enfants toute la journée ?
Il a haussé les épaules.
— On te demande juste un peu plus d’attention…
Ce « on te demande juste » m’a blessée plus que je ne l’aurais cru. J’ai pensé à toutes ces heures passées à jouer aux dominos, à consoler Hugo après ses cauchemars, à préparer des purées maison alors que j’aurais préféré lire un roman.
En août, j’ai commencé à compter les jours jusqu’à la rentrée scolaire. Je me sentais coupable de ressentir ce soulagement. Une mère ne devrait-elle pas tout donner sans rien attendre ? Mais chaque soir, je guettais un mot de remerciement qui ne venait pas.
Un dimanche soir, alors que je débarrassais la table seule — Pierre et Claire étaient partis téléphoner dans le jardin — Léa m’a regardée avec ses grands yeux tristes :
— Mamie, pourquoi tu pleures ?
Je me suis forcée à sourire.
— Je suis juste fatiguée, ma chérie.
Le dernier jour des vacances est arrivé comme une délivrance. Pierre est venu chercher les enfants. Il m’a embrassée sur la joue.
— Merci maman… mais tu sais, si c’était trop pour toi, tu pouvais toujours dire non.
J’ai eu envie de crier : « Comment aurais-je pu dire non ? » Mais les mots sont restés coincés dans ma gorge.
Aujourd’hui, la maison est vide. J’écoute le silence et je me demande : ai-je été trop gentille ? Ai-je mal élevé mon fils pour qu’il ne voie pas mon épuisement ? Ou bien est-ce ça, être mère en France aujourd’hui : donner sans compter et accepter l’ingratitude comme une fatalité ?
Est-ce que vous aussi vous avez déjà ressenti ce vide après avoir tant donné ? Est-ce qu’on peut vraiment apprendre à dire non à ceux qu’on aime le plus au monde ?