Le Pari des Fraises Tagada : Une Épreuve de Volonté à la Maison
— Léa, tu promets de ne pas toucher aux fraises Tagada tant que je ne reviens pas ?
Je la regarde droit dans les yeux, mon cœur battant plus vite que je ne l’aurais cru pour un simple jeu. Elle hoche la tête, sérieuse, ses petites mains jointes sur la table, le regard fixé sur le bol de bonbons rouges. Je sors mon téléphone pour filmer, comme tous ces parents sur Internet, pensant que ce sera juste une vidéo drôle à envoyer à ma sœur ou à poster sur Facebook. Mais au fond, je sens déjà que ce moment va prendre une tournure inattendue.
Je quitte la pièce, laissant Léa seule avec la tentation. Derrière la porte, j’entends le silence. Puis, un léger bruit de chaise. Je retiens mon souffle. Ma femme, Claire, me rejoint dans le couloir, un sourire amusé sur les lèvres.
— Tu paries combien qu’elle craque ?
— Je ne sais pas… Elle a hérité de ta gourmandise, non ?
On rit doucement, mais je sens une pointe d’angoisse. Ce n’est pas qu’un jeu. C’est aussi une façon de voir si j’ai réussi à lui transmettre la confiance, la patience. Est-ce que je suis un bon père ?
Quelques minutes passent. Je regarde l’écran de mon téléphone, le chrono tourne. Léa se tortille sur sa chaise, elle se penche, renifle les bonbons, puis recule. Elle chuchote :
— Papa a dit d’attendre… Papa a dit d’attendre…
Je sens une boule dans ma gorge. Pourquoi ce défi me touche-t-il autant ? Est-ce parce que, depuis quelque temps, tout semble plus compliqué à la maison ? Depuis que j’ai perdu mon emploi à l’usine Renault, l’ambiance est tendue. Claire travaille plus, je m’occupe de Léa, mais je sens que je perds pied. Ce défi, c’est peut-être ma façon de me rassurer, de me dire que je peux encore transmettre quelque chose de bon à ma fille.
Soudain, un bruit de choc. Je sursaute. J’ouvre la porte brusquement : Léa a renversé le bol, les fraises Tagada roulent sur la table. Elle me regarde, les yeux pleins de larmes.
— Papa, j’ai pas touché, c’est tombé tout seul !
Je m’approche, je la prends dans mes bras. Elle tremble. Je sens sa détresse, sa peur de me décevoir. Je me revois, enfant, devant mon propre père, redoutant sa colère pour une bêtise. Je caresse ses cheveux.
— Ce n’est pas grave, ma chérie. Tu as tenu bon, tu as été courageuse.
Elle renifle, puis me regarde, hésitante.
— Tu m’aimes quand même ?
Mon cœur se serre. Comment peut-elle douter ? Est-ce que je lui ai transmis mes propres insécurités ?
— Bien sûr que je t’aime. Rien ne changera ça, jamais.
Claire entre à son tour, elle ramasse les bonbons en souriant.
— On dirait que le défi est réussi, non ?
Léa esquisse un sourire timide. On s’assoit tous les trois autour de la table. Je propose qu’on partage les fraises Tagada, tous ensemble. Léa rit enfin, la tension retombe.
Mais le soir, alors que je couche Léa, elle me demande :
— Papa, pourquoi tu fais des vidéos de moi ?
Je reste silencieux. Pourquoi, en effet ? Pour prouver quelque chose aux autres ? Pour me rassurer ? Pour garder des souvenirs ?
— Parce que tu es la plus belle chose qui me soit arrivée, et que j’ai envie de me souvenir de tous ces moments avec toi.
Elle sourit, s’endort paisiblement. Mais moi, je reste éveillé longtemps. Je repense à mon propre père, à ses silences, à ses absences. À cette envie de faire mieux, de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Mais suis-je vraiment différent ?
Le lendemain, Claire me prend la main au petit-déjeuner.
— Tu sais, Pierre, tu fais de ton mieux. Léa t’admire, même si tu doutes de toi.
Je hoche la tête, ému. Mais au fond, la question me ronge : est-ce qu’on peut vraiment protéger nos enfants de nos propres failles ? Est-ce que l’amour suffit à réparer ce qu’on a soi-même reçu de travers ?
Je regarde Léa qui rit, la bouche pleine de confiture, insouciante. Et je me demande :
Est-ce que vous aussi, parfois, vous doutez de vous en tant que parent ? Est-ce qu’un simple jeu vous a déjà révélé des vérités inattendues sur votre famille ?