Je n’ai jamais pu aimer les enfants de mon mari : le poids d’une famille recomposée

« Tu n’es pas ma mère, alors arrête de faire comme si ! » criait Lucie, les joues rouges de colère, en claquant la porte de sa chambre. Je restai figée dans le couloir, la main tremblante sur la poignée, le cœur battant à tout rompre. C’était la troisième fois cette semaine que la situation dégénérait ainsi. Antoine, mon mari, était encore au travail, et moi, je me retrouvais seule face à ses deux enfants, Lucie et Paul, qui me rappelaient chaque jour que je n’étais qu’une étrangère dans leur vie.

Je m’appelle Claire, j’ai 38 ans, et il y a trois ans, j’ai rencontré Antoine lors d’un séminaire à Lyon. Il était drôle, attentionné, divorcé depuis deux ans et père de deux enfants. Je n’avais jamais eu d’enfant moi-même ; je croyais que l’amour pouvait tout surmonter. Mais je me trompais.

Au début, tout semblait possible. Antoine me présentait comme « la femme de sa vie », et ses enfants venaient chez nous un week-end sur deux. J’essayais d’être gentille, de leur préparer des crêpes le dimanche matin, de les écouter parler de leur mère sans montrer ma jalousie. Mais Lucie, 12 ans, me lançait des regards noirs. Paul, 9 ans, restait silencieux, accroché à sa console de jeux. Je sentais leur hostilité comme un mur invisible entre nous.

Un soir d’hiver, alors qu’Antoine était rentré tard du travail, il m’a trouvée en larmes dans la cuisine. « Je n’y arrive pas… Ils ne veulent pas de moi », ai-je murmuré. Il m’a prise dans ses bras, mais j’ai senti qu’il était fatigué lui aussi. « Il faut du temps… Tu sais, ils ont beaucoup souffert du divorce », répétait-il. Mais combien de temps ? Et à quel prix ?

Les mois passaient et rien ne changeait. Pire : la tension grandissait. Les enfants refusaient de manger ce que je cuisinais (« Maman fait mieux »), refusaient mes cadeaux (« On n’en veut pas »), refusaient même de s’asseoir à côté de moi sur le canapé. Un jour, j’ai surpris Lucie en train d’envoyer des messages à sa mère : « Papa est avec elle ce soir… Je veux rentrer… » J’ai eu l’impression d’être une intruse dans ma propre maison.

Ma mère me disait au téléphone : « Tu dois t’imposer ! Ce sont des enfants, ils finiront par t’accepter. » Mais comment s’imposer sans devenir la méchante ? Comment aimer des enfants qui vous rejettent ? Je culpabilisais chaque fois que je ressentais du soulagement quand ils repartaient chez leur mère le dimanche soir.

Antoine essayait d’arranger les choses. Il organisait des sorties tous ensemble : cinéma, pique-nique au parc de la Tête d’Or… Mais Lucie boudait, Paul traînait des pieds. Un soir, lors d’un dîner où tout le monde faisait semblant de sourire, Lucie a lâché : « Pourquoi tu ne fais pas un bébé avec papa ? Comme ça tu nous oublieras… » J’ai senti une boule dans ma gorge. Je n’avais jamais osé parler à Antoine de mon désir d’enfant – il disait toujours qu’il avait déjà « sa petite famille ».

Les disputes avec Antoine sont devenues plus fréquentes. Il me reprochait mon manque de patience ; je lui reprochais son absence de soutien. Un soir, après une énième crise avec Lucie, j’ai crié : « Je ne suis pas leur mère ! Je ne le serai jamais ! » Antoine m’a regardée comme si je venais de trahir notre amour.

J’ai commencé à éviter les week-ends où les enfants venaient. Je sortais voir des amies ou je restais enfermée dans notre chambre. La maison résonnait des rires des enfants… sans moi. Je me sentais coupable mais soulagée à la fois.

Un dimanche soir, alors que les enfants venaient de partir, Antoine s’est assis en face de moi dans le salon. Il avait l’air épuisé.
— Claire… Tu crois qu’on va y arriver ?
Je n’ai pas su quoi répondre. J’aimais Antoine mais je détestais cette vie-là.

Quelques semaines plus tard, j’ai pris la décision la plus difficile de ma vie : partir. J’ai fait mes valises un matin où la maison était vide. J’ai laissé une lettre à Antoine : « Je t’aime mais je ne peux plus vivre dans cette douleur permanente. Je ne suis pas faite pour être belle-mère. Pardonne-moi. »

Cela fait un an maintenant. J’ai déménagé à Annecy pour recommencer ailleurs. Parfois je croise des familles recomposées dans la rue et je me demande si elles sont heureuses ou si elles cachent leur tristesse derrière des sourires forcés.

Je n’ai jamais parlé de cette histoire à mes nouvelles amies – trop honteuse d’avoir échoué là où tant d’autres semblent réussir. Mais parfois je me demande : est-ce vraiment un échec d’admettre ses limites ? Peut-on aimer quelqu’un sans aimer ses enfants ? Et vous… auriez-vous fait autrement ?