Dois-je pardonner à mon mari qui revient en rampant ?
« Tu ne peux pas comprendre, Claire. Ce n’était pas prémédité… »
Sa voix tremble, il s’accroche à la table de la cuisine comme un naufragé à une planche. Je le regarde, assise en face, les bras croisés, le cœur battant si fort que j’ai l’impression qu’il va éclater. Douze ans de mariage, deux enfants, et voilà qu’il revient, les yeux rougis, la barbe mal rasée, suppliant presque. Je n’arrive pas à croire que c’est bien lui, François, l’homme qui m’a quittée il y a un an pour une fille à peine sortie de la fac.
« Tu ne peux pas comprendre ? » Je répète ses mots, incrédule. « Tu crois que c’est moi qui ne comprends pas ? »
Il baisse la tête. Le silence s’installe, lourd comme un orage d’été. Je sens la colère monter en moi, mais aussi cette tristesse poisseuse qui ne me quitte plus depuis des mois. J’ai tout donné à ce mariage : mes rêves de jeunesse, mes années les plus belles, mes espoirs de famille unie. Et lui, il a tout piétiné pour une aventure.
Je me souviens encore du jour où il est parti. Les enfants étaient chez mes parents. Il a fait sa valise en silence, sans même oser me regarder dans les yeux. « Je crois que j’ai besoin de changer d’air », avait-il murmuré. J’ai cru mourir ce soir-là. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, seule dans notre chambre trop grande.
Les mois qui ont suivi ont été un enfer. Les regards compatissants des voisins dans notre petite ville de Tours, les questions gênantes des collègues à l’école où j’enseigne le français, les enfants qui demandaient sans cesse quand papa allait rentrer. J’ai tenu bon pour eux, pour moi aussi. J’ai appris à vivre sans lui, à remplir le vide avec des petits riens : un café avec Sophie, ma meilleure amie ; une promenade au bord de la Loire ; les rires de Camille et Lucas.
Et puis aujourd’hui, il revient. Il dit qu’il a tout compris, qu’il s’est trompé, que la jeune fille n’était qu’un mirage. Il veut qu’on recommence. Il veut revenir à la maison.
« Claire… Je t’en supplie. Je suis perdu sans toi. Les enfants me manquent. Toi… tu me manques. »
Je ferme les yeux. Sa voix me fait mal. Je voudrais le haïr, mais je n’y arrive pas vraiment. Au fond de moi, il y a encore cette petite flamme qui refuse de s’éteindre complètement.
« Et moi ? Tu as pensé à moi ? À ce que tu m’as fait subir ? »
Il se lève brusquement et fait les cent pas dans la cuisine. « Je sais que j’ai été lâche. Je sais que je t’ai blessée… Mais je suis prêt à tout pour réparer mes erreurs. »
Je repense à toutes ces nuits blanches passées à ressasser notre histoire. À ces moments où j’aurais voulu qu’il soit là pour m’aider avec les devoirs des enfants ou simplement pour partager un verre de vin sur la terrasse. Mais je repense aussi à la liberté retrouvée : ne plus attendre ses messages, ne plus craindre ses silences ou ses absences inexpliquées.
Ma mère m’a dit : « On ne reconstruit pas une maison sur des ruines sans enlever les gravats. » Elle n’a jamais vraiment aimé François. Elle dit qu’un homme qui part une fois partira toujours.
Mais Camille et Lucas… Eux, ils veulent leur père à la maison. Ils me le disent tous les soirs avant de dormir : « Maman, pourquoi papa ne revient pas ? »
Je sens mes mains trembler sous la table.
« François… Je ne sais pas si je peux te pardonner. Je ne sais même pas si j’en ai envie. »
Il s’approche doucement et pose sa main sur la mienne. Je la retire aussitôt.
« Tu as détruit quelque chose en moi. Peut-être que ça ne se répare pas… Peut-être que je suis mieux seule maintenant. »
Il se laisse tomber sur la chaise, le visage défait.
« Tu veux que je parte ? »
Je regarde par la fenêtre, le ciel est gris, typique d’un printemps tourangeau.
« Je veux juste… du temps. Pour réfléchir. Pour comprendre ce que je veux vraiment. »
Il hoche la tête et se lève sans un mot. Avant de franchir la porte, il se retourne :
« Je t’aime encore, Claire. »
La porte claque doucement derrière lui.
Je reste là, seule dans ma cuisine silencieuse. Je pense à toutes ces femmes qui vivent la même chose que moi, partout en France : trahies, blessées mais debout malgré tout.
Est-ce qu’on peut vraiment pardonner l’impardonnable ? Est-ce que je dois sacrifier ma nouvelle liberté pour une famille éclatée ? Ou bien est-ce que je mérite enfin de penser à moi ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?