À l’aube de mes 70 ans, seule : Comment j’ai perdu mon fils Thomas
« Tu ne comprends donc jamais rien, maman ? » La voix de Thomas résonne encore dans ma tête, tranchante, douloureuse. C’était il y a deux ans, dans la cuisine de mon petit appartement à Tours. Il avait claqué la porte si fort que le vase sur la commode avait tremblé. Depuis ce jour, plus un appel, plus une lettre. Silence radio. Aujourd’hui, à quelques semaines de mes 70 ans, je me demande comment j’en suis arrivée là.
J’ai grandi dans une famille où l’on ne disait jamais « je t’aime ». On se le montrait par des gestes, des attentions discrètes, mais les mots restaient coincés dans la gorge. Quand j’ai rencontré Philippe – mon mari – je croyais avoir trouvé un homme solide, capable de m’offrir la stabilité que je n’avais jamais eue. Mais très vite, notre couple s’est fissuré. Les disputes étaient fréquentes, parfois violentes. Thomas n’avait que huit ans quand il a commencé à se réfugier dans sa chambre pour échapper à nos cris.
Je me souviens d’un soir d’hiver. Philippe était parti depuis trois jours après une énième dispute. Thomas s’est approché de moi alors que je pleurais dans la cuisine. « Tu vas divorcer ? » m’a-t-il demandé d’une voix tremblante. J’ai secoué la tête, incapable de lui répondre franchement. Je croyais bien faire en restant pour lui offrir une famille « normale », mais je me trompais.
Les années ont passé. Thomas a grandi, il est devenu un jeune homme brillant, studieux, mais distant. Je sentais qu’il m’en voulait sans jamais oser me le dire. Quand il a rencontré Claire à l’université de Nantes, j’ai cru que tout allait changer. Elle était douce, attentive, mais aussi très protectrice envers lui. Peut-être trop.
Le jour de leur mariage, j’ai voulu lui dire combien je l’aimais et combien j’étais fière de lui. Mais les mots sont restés coincés. J’ai simplement posé ma main sur son épaule en espérant qu’il comprenne tout ce que je n’arrivais pas à exprimer.
Au fil des années, nos relations se sont tendues. Claire ne supportait pas mes remarques sur leur façon d’élever leurs enfants ou sur leur choix de vie. Un jour, alors que je gardais mes petits-enfants, j’ai osé dire à Claire qu’elle était trop permissive avec eux. Elle m’a regardée droit dans les yeux : « Madeleine, ici c’est chez nous. Si tu veux continuer à voir les enfants, il va falloir respecter nos règles. »
J’ai mal réagi. J’ai crié, pleuré, supplié Thomas de prendre ma défense. Mais il est resté silencieux, le regard fuyant. Quelques semaines plus tard, il m’a appelée pour me dire qu’ils préféraient prendre leurs distances « pour un temps ». Ce temps est devenu des mois, puis des années.
Je me suis retrouvée seule avec mes regrets et mes souvenirs. Les photos de Thomas enfant tapissent encore les murs du salon. Parfois, je me surprends à lui parler à voix haute : « Tu te souviens de ce Noël où tu as eu ton premier vélo ? » Mais personne ne répond.
Les voisins me saluent poliment mais évitent de s’attarder. À la boulangerie, la boulangère me demande parfois des nouvelles de ma famille. Je souris tristement : « Ils sont loin… »
La solitude est devenue ma compagne la plus fidèle. Je regarde les familles se promener le dimanche au Jardin des Prébendes et je me demande ce que j’aurais pu faire différemment. Aurais-je dû partir plus tôt ? Aurais-je dû dire plus souvent « je t’aime » ? Aurais-je dû accepter que Thomas ait sa propre vie sans vouloir tout contrôler ?
Un soir d’automne, alors que la pluie tambourinait contre les vitres, j’ai reçu une carte postale de Bretagne. C’était une photo du port de Saint-Malo. Au dos, quelques mots : « Bon anniversaire Mamie. On pense à toi. » Pas de signature, mais j’ai reconnu l’écriture maladroite de mon petit-fils Paul.
J’ai pleuré comme une enfant ce soir-là. Pas seulement de tristesse, mais aussi d’espoir. Peut-être qu’un jour Thomas reviendra vers moi. Peut-être qu’il comprendra que si j’ai été maladroite, c’était par peur de le perdre.
Aujourd’hui, à l’aube de mes 70 ans, je n’attends plus grand-chose de la vie. Mais si mon histoire peut servir à d’autres mères, alors elle n’aura pas été vaine.
Est-ce qu’on peut vraiment réparer les erreurs du passé ? Ou bien faut-il apprendre à vivre avec ses regrets ?