Jeux d’argent : Le prix d’une erreur et le chemin vers le pardon
— Camille ! Tu peux venir ici tout de suite ?
Ma voix tremblait, oscillant entre la colère et la panique. Il était vingt-deux heures, un mardi soir ordinaire, jusqu’à ce que je découvre ce relevé bancaire. 1 200 euros envolés en quelques jours. Je n’arrivais pas à y croire. Ma femme, Claire, me regardait, blême, la main crispée sur sa tasse de thé.
Camille est entrée dans le salon, traînant son doudou, les yeux rougis de fatigue. « Qu’est-ce qu’il y a, papa ? »
J’ai brandi mon téléphone : « Tu sais ce que c’est, ça ? Tu as acheté quelque chose sur mon portable ? »
Elle a baissé les yeux. Un silence pesant s’est installé, seulement brisé par le tic-tac de l’horloge. J’ai senti la colère monter, mais aussi une peur sourde : comment une enfant de huit ans pouvait-elle dépenser autant d’argent ?
« Je voulais juste avoir plus de vies dans le jeu… Je ne savais pas que ça coûtait de l’argent… »
Sa voix était à peine un souffle. J’ai senti mon cœur se serrer. D’un côté, j’avais envie de crier, de lui dire qu’elle avait ruiné notre mois. De l’autre, je voyais une petite fille terrifiée, qui ne comprenait pas l’ampleur de son geste.
Claire a posé une main sur mon bras : « Calme-toi, Laurent. Ce n’est qu’une enfant. »
Mais comment rester calme ? Nous ne roulions pas sur l’or. Je pensais à toutes les factures, à la rentrée scolaire qui approchait. J’ai quitté la pièce, claqué la porte derrière moi. Dans la cuisine, j’ai laissé couler l’eau froide sur mes poignets, tentant de reprendre le contrôle.
Plus tard dans la nuit, alors que tout le monde dormait, je suis resté assis dans le noir, le relevé bancaire devant moi. Je me suis repassé la scène en boucle. Où avais-je failli ? Avais-je trop fait confiance à Camille ? N’aurais-je pas dû mieux surveiller ses activités sur la tablette ?
Le lendemain matin, le malaise flottait dans l’air. Camille évitait mon regard. Claire tentait de faire comme si tout était normal, mais je voyais bien qu’elle était aussi perdue que moi.
Au travail, impossible de me concentrer. J’ai cherché sur internet : « enfant achats jeux en ligne », « comment se faire rembourser ». Les forums étaient remplis de parents comme moi, désemparés, en colère, honteux. Certains racontaient avoir puni sévèrement leurs enfants, d’autres parlaient d’éducation, de dialogue. Mais moi, je ne savais plus quoi penser.
Le soir venu, j’ai décidé d’en parler à Camille. Je me suis assis à côté d’elle sur son lit, dans la lumière tamisée de sa veilleuse licorne.
« Camille, tu sais que ce que tu as fait est grave. Ce n’est pas seulement un jeu. L’argent que tu as dépensé, c’est celui qu’on utilise pour vivre, pour manger, pour s’habiller… »
Elle a hoché la tête, les larmes aux yeux. « Je suis désolée, papa… Je voulais pas… »
Je me suis surpris à pleurer aussi. Pas seulement pour l’argent perdu, mais pour cette distance qui s’était installée entre nous. J’ai compris que je n’avais pas su poser les bonnes limites, ni expliquer les dangers du numérique.
Les jours suivants ont été difficiles. J’ai contacté la banque, tenté d’obtenir un remboursement auprès de l’éditeur du jeu. J’ai dû expliquer la situation à mon patron pour demander une avance sur salaire. J’avais honte. Honte d’avoir été négligent, honte de ne pas avoir protégé ma fille.
À la maison, l’ambiance était tendue. Claire et moi nous disputions pour un rien. Elle me reprochait mon manque de vigilance, je lui reprochais de trop céder à Camille. Les repas se faisaient en silence. Camille s’enfermait dans sa chambre, dessinant des monstres tristes et des princesses en pleurs.
Un soir, alors que je rentrais du travail, j’ai trouvé un dessin sur mon oreiller. On y voyait une petite fille tenant la main d’un homme triste. Au dos, elle avait écrit : « Je t’aime papa, même si tu es fâché. »
Ce soir-là, j’ai compris que la blessure était plus profonde que je ne le pensais. Ce n’était pas seulement une question d’argent. C’était une question de confiance, d’amour, de dialogue.
J’ai pris Camille dans mes bras et je lui ai promis qu’on allait traverser ça ensemble. Nous avons instauré de nouvelles règles : plus d’achats sans notre accord, temps d’écran limité, discussions régulières sur ce qu’elle fait en ligne. J’ai aussi accepté de me remettre en question, d’apprendre avec elle les codes de ce monde numérique qui m’échappait.
Peu à peu, la confiance est revenue. Mais la cicatrice est restée. Parfois, je me demande si j’ai su être le père dont elle avait besoin. Si j’ai su lui apprendre à grandir dans un monde où tout va trop vite, où les dangers sont invisibles.
Aujourd’hui encore, je repense à cette nuit où tout a basculé. Et je me demande : combien d’entre nous ont déjà ressenti cette impuissance face à la technologie ? Comment protéger nos enfants sans les enfermer ? Et surtout… comment se pardonner à soi-même quand on a failli ?