Trahie par l’amour au cœur de la maladie : le combat de Camille pour renaître

— Tu ne comprends pas, Camille ! Ce n’est pas ce que tu crois !

La voix d’Étienne résonne encore dans ma tête, comme un écho douloureux qui refuse de s’éteindre. Je suis assise sur le carrelage froid de la salle de bain, les mains tremblantes, le téléphone encore ouvert sur ce message qui a tout fait basculer. « Je pense à toi chaque nuit », avait-il écrit à cette femme dont je ne connaissais même pas le prénom. Je croyais que le pire était derrière moi, que rien ne pouvait être plus violent que ce diagnostic tombé il y a trois mois : cancer du sein, stade avancé. Mais non. Le vrai coup de grâce, c’était cette trahison, ce mensonge glissé dans l’ombre de ma maladie.

Je me souviens du jour où tout a commencé. C’était un matin pluvieux de janvier à Lyon. J’avais remarqué une boule étrange sous ma peau, mais je n’avais rien dit à personne. Pas même à ma mère, pas même à mon mari. J’ai toujours été forte, du moins c’est ce que je croyais. Mais quand le médecin m’a regardée avec ce mélange de compassion et de gravité, j’ai compris que ma vie ne serait plus jamais la même.

Étienne était là, au début. Il m’accompagnait aux rendez-vous, il posait des questions aux médecins, il me préparait des soupes quand je n’arrivais plus à avaler quoi que ce soit après les chimios. Mais peu à peu, il s’est éloigné. Il rentrait tard du travail, il s’énervait pour un rien, il passait des heures sur son téléphone. J’ai mis ça sur le compte du stress, de la peur. Je me disais qu’il souffrait lui aussi, à sa manière.

Mais ce soir-là, alors que je cherchais son chargeur dans sa veste, j’ai vu le message. Et tout s’est effondré.

— Tu savais ? Tu savais depuis combien de temps ?

Ma voix était rauque, étranglée par les larmes et la colère. Il a détourné les yeux.

— Camille… Je suis désolé. Je ne voulais pas te blesser. Je me sens tellement perdu…

Perdu ? Et moi alors ? Moi qui me bats chaque jour contre ce corps qui me trahit, contre cette peur qui me ronge ? Moi qui ai perdu mes cheveux, ma poitrine, ma dignité ?

Les jours qui ont suivi ont été un cauchemar éveillé. Ma mère est venue s’installer chez nous pour m’aider. Elle a tout de suite compris que quelque chose n’allait pas entre Étienne et moi. Elle n’a rien dit, mais je voyais son regard inquiet quand elle me trouvait en larmes dans la cuisine ou prostrée devant la fenêtre.

— Tu dois penser à toi maintenant, Camille. À toi et à ta guérison.

Mais comment penser à moi quand tout ce qui faisait ma vie s’effondre ? Comment trouver la force de me battre alors que l’homme que j’aimais cherche du réconfort ailleurs ?

Un soir, alors que la ville s’endormait sous la pluie, j’ai pris une décision. J’ai demandé à Étienne de partir. Il a protesté, il a pleuré même, mais je n’avais plus la force d’écouter ses excuses. J’avais besoin d’air. Besoin de silence.

Les semaines suivantes ont été les plus longues de ma vie. Entre les séances de chimiothérapie à l’hôpital Édouard-Herriot et les nuits blanches à ressasser chaque détail de notre histoire, j’ai cru sombrer mille fois. Mais il y avait aussi des moments de lumière : le sourire d’une infirmière, la main de ma mère serrée dans la mienne, le rire d’une amie venue m’apporter des croissants encore chauds.

Un jour, alors que je sortais de l’hôpital, j’ai croisé Claire, une ancienne collègue perdue de vue depuis des années.

— Camille ? Oh mon Dieu… Tu veux qu’on prenne un café ?

J’ai accepté sans réfléchir. Nous avons parlé pendant des heures. Elle m’a raconté son divorce difficile, sa reconstruction lente mais solide. Elle m’a dit :

— Tu sais, on croit toujours qu’on ne va pas s’en sortir. Mais on finit par se surprendre soi-même.

Ses mots ont résonné en moi comme une promesse fragile.

Petit à petit, j’ai appris à vivre autrement. J’ai recommencé à écrire dans mon journal intime, comme quand j’étais adolescente. J’ai repris contact avec mon frère Paul, avec qui je m’étais brouillée depuis des années pour une histoire stupide d’héritage familial. Il est venu me voir un dimanche avec ses enfants ; ils ont mis de la vie et du bruit dans mon appartement silencieux.

La maladie m’a volé beaucoup de choses : mon insouciance, mon corps d’avant, mes certitudes. Mais elle m’a aussi forcée à regarder en face ce que je fuyais depuis trop longtemps : mes peurs, mes failles, mes désirs profonds.

Un matin d’avril, alors que les premiers rayons du soleil entraient par la fenêtre de ma chambre d’hôpital, j’ai senti quelque chose changer en moi. Ce n’était pas la guérison — pas encore — mais une sorte d’apaisement. J’ai compris que je pouvais survivre à tout cela. Que je n’étais pas seulement une femme trahie ou une malade ; j’étais Camille, avec mes forces et mes faiblesses.

Aujourd’hui encore, il y a des jours où la colère revient, où la tristesse me submerge. Mais il y a aussi des jours où je ris sans raison, où je me sens légère comme avant.

Je ne sais pas si je pourrai un jour pardonner à Étienne. Peut-être que oui, peut-être que non. Mais je sais une chose : je ne suis plus celle qui attend qu’on vienne la sauver.

Est-ce qu’on peut vraiment se reconstruire après avoir tout perdu ? Est-ce que la trahison finit toujours par nous définir ou peut-on choisir d’être plus fort qu’elle ? Qu’en pensez-vous ?