Trahie deux fois : Quand l’amitié revient frapper à la porte du passé

« Tu ne vas quand même pas lui dire non ? » La voix de ma mère résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Devant moi, la lettre d’Élodie, posée sur la table, me brûle les yeux. Elle veut être mon témoin. Mon témoin ! Après tout ce qu’elle m’a fait…

Cinq ans plus tôt, j’étais une autre femme. J’avais vingt-huit ans, un CDI dans une petite agence de communication à Lyon, et surtout, j’étais fiancée à Julien. Julien, le garçon du lycée devenu l’homme de ma vie. Et puis il y avait Élodie, mon amie d’enfance, celle qui connaissait tous mes secrets, celle qui avait essuyé mes larmes après chaque chagrin d’amour. Nous étions inséparables.

Je revois encore cette soirée d’hiver, la neige tombait sur les toits de la Croix-Rousse. J’avais organisé une raclette chez moi. Julien riait avec Élodie dans la cuisine pendant que je préparais la table. Je me souviens avoir ressenti un malaise, un regard échangé trop longtemps, un silence gênant quand j’entrais dans la pièce. Mais j’ai balayé ce doute d’un revers de main. Ils étaient mes deux piliers, comment aurais-je pu imaginer ?

C’est quelques semaines plus tard que tout a explosé. Un message sur le portable de Julien, oublié sur la table basse. « Tu me manques déjà… » signé E. Mon cœur s’est arrêté. J’ai lu la conversation en entier, chaque mot un coup de poignard. Ils se voyaient en cachette depuis des mois. Ma meilleure amie et mon fiancé.

Je me souviens avoir hurlé, pleuré, supplié Julien de me dire que ce n’était pas vrai. Il n’a rien nié. Il a juste baissé les yeux, honteux. Élodie a tenté de m’appeler des dizaines de fois. Je n’ai jamais décroché.

Les mois suivants ont été un enfer. Ma mère me répétait : « Ce n’est qu’un homme, tu trouveras mieux ! » Mais elle ne comprenait pas que c’était aussi une amie que je perdais. Mon père, lui, s’est muré dans le silence. Les amis communs ont choisi leur camp. Certains m’ont tourné le dos.

J’ai déménagé à Villeurbanne pour recommencer à zéro. J’ai changé de travail, coupé les ponts avec tout ce qui me rappelait cette trahison. J’ai mis des années à faire confiance à quelqu’un.

Et puis il y a deux ans, j’ai rencontré Antoine lors d’un séminaire professionnel à Annecy. Il était drôle, attentionné, patient avec mes silences et mes peurs. Il a su m’apprivoiser doucement. Aujourd’hui, nous préparons notre mariage pour le mois de septembre.

Tout allait bien jusqu’à ce matin-là où j’ai reçu cette lettre d’Élodie. Elle écrivait qu’elle regrettait tout, qu’elle avait compris son erreur, qu’elle avait perdu deux personnes importantes dans sa vie et qu’elle voulait réparer les choses. Elle voulait être mon témoin « pour montrer au monde que l’amitié peut survivre à tout ».

J’ai ri nerveusement en lisant ces mots. Survivre à tout ? Et moi alors ? Ai-je survécu ?

J’en ai parlé à Antoine le soir-même. Il m’a écoutée sans juger. « C’est ton histoire, Camille. Je te soutiendrai quoi que tu décides », a-t-il dit en me prenant la main.

Mais autour de moi, la pression monte. Ma mère trouve que je devrais tourner la page : « Tu ne vas pas gâcher ton bonheur pour une vieille histoire ! » Ma sœur Julie pense au contraire que je devrais lui dire ses quatre vérités devant tout le monde : « Elle mérite de comprendre ce qu’elle t’a fait ! »

Je repense à toutes ces années où j’ai porté cette douleur seule. Je repense aux regards fuyants des amis qui savaient mais n’ont rien dit. À mon père qui n’a jamais su trouver les mots pour consoler sa fille.

Hier soir encore, j’ai rêvé d’Élodie et moi enfants, courant dans les champs près de chez mes grands-parents en Ardèche. Je me suis réveillée en larmes.

Aujourd’hui, je suis assise devant cette lettre et je ne sais pas quoi faire. Pardonner ? Faire semblant ? Refuser et passer pour une femme rancunière ?

Je décide d’appeler Élodie. La sonnerie retentit longtemps avant qu’elle ne décroche.

— Camille ?
Sa voix tremble.
— Pourquoi maintenant ? Pourquoi tu veux être mon témoin ?
Un silence.
— Parce que… parce que je t’ai perdue et que je ne m’en suis jamais remise. Parce que je veux te prouver que j’ai changé.
— Tu crois vraiment qu’on peut effacer ce qui s’est passé ?
— Non… mais on peut essayer d’avancer.
Je raccroche sans répondre.

Le soir venu, je regarde Antoine dormir paisiblement à côté de moi et je me demande : est-ce que pardonner serait une force ou une faiblesse ? Est-ce que je peux vraiment tourner la page sans justice pour la femme brisée que j’étais ?

Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment reconstruire sur les ruines d’une telle trahison ?