« Si sa mère est si riche, qu’elle paie la pension ! » – Histoire d’une mère célibataire à Montreuil
« Si sa mère est si riche, qu’elle paie la pension ! »
La voix de Madame Dubois résonne encore dans la cage d’escalier, tranchante comme une gifle. Je serre la main de mon fils, Hugo, un peu plus fort. Il baisse les yeux, gêné. Je sens mon cœur battre à tout rompre, la honte me brûle les joues. Je voudrais répondre, hurler même, mais je n’ai plus la force. Depuis que Paul est parti, tout le monde semble avoir un avis sur ma vie.
Je m’appelle Camille Lefèvre. J’ai trente-quatre ans, et je vis à Montreuil, dans un immeuble où chaque porte cache ses secrets et ses douleurs. Avant, j’étais institutrice. Aujourd’hui, je fais des ménages chez les voisins plus aisés du quartier. Le soir, quand Hugo dort, je compte les pièces rouges pour finir le mois. Mon ex-mari, Paul, a refait sa vie à Lyon avec une certaine Sophie – une avocate paraît-il. Il a arrêté de verser la pension alimentaire il y a six mois. « Je n’ai plus les moyens », m’a-t-il dit au téléphone, la voix lasse. Mais j’ai vu sur Facebook ses photos de vacances à Biarritz.
Ce matin-là, tout a basculé. J’étais descendue chercher le courrier quand Madame Dubois, la concierge, m’a arrêtée :
— Camille, vous avez reçu une lettre du tribunal. Encore des histoires avec Paul ?
Je n’ai pas répondu. Elle a haussé les épaules et a lancé sa phrase assassine :
— Si sa mère est si riche, qu’elle paie la pension !
Riche ? Parce que ma mère vit dans un pavillon à Vincennes et qu’elle m’aide parfois à payer les courses ? Elle ne sait rien de nos disputes, des silences lourds entre nous. Ma mère n’a jamais accepté mon divorce. « Tu as choisi cette vie », répète-t-elle chaque fois que je lui demande un coup de main.
Le soir, Hugo me demande :
— Maman, pourquoi papa ne vient plus ?
Je mens mal. Je lui parle de travail, de distance. Mais il voit bien que je pleure parfois dans la cuisine. Il entend les voisins chuchoter sur notre passage : « La pauvre… », « Elle a tout gâché… »
Un jour, j’ai croisé Paul devant l’école. Il venait chercher Hugo pour le week-end. Il portait une chemise neuve et un sourire gêné.
— Camille… Je sais que c’est dur en ce moment. Mais tu comprends… Avec Sophie, on a des projets…
J’ai cru m’effondrer.
— Et Hugo dans tout ça ? Tu crois qu’il n’a pas besoin de toi ?
Il a détourné le regard.
— Je fais ce que je peux.
Ce soir-là, j’ai appelé ma mère. Sa voix était froide.
— Tu veux encore de l’argent ?
J’ai failli raccrocher.
— Non… Juste parler.
Un silence gênant s’est installé.
— Tu sais, Camille, il faut apprendre à te débrouiller seule.
J’ai raccroché en pleurant.
Les semaines passent. Les factures s’accumulent. À l’école, la maîtresse d’Hugo me convoque :
— Hugo est distrait en classe. Il dit que son papa ne l’aime plus.
Je me sens coupable. Est-ce ma faute si Paul s’est éloigné ? Est-ce moi qui ai échoué ?
Un samedi matin, alors que je faisais le ménage chez Madame Morel au sixième étage, elle m’a tendu une enveloppe.
— Pour toi et Hugo. Ce n’est pas grand-chose…
J’ai refusé d’abord, par fierté. Mais elle a insisté :
— Tu n’as pas à avoir honte. On devrait toutes se soutenir entre femmes.
J’ai pleuré dans l’ascenseur en redescendant.
Le soir même, j’ai écrit une lettre à Paul :
« Hugo a besoin de toi. Pas seulement d’argent, mais de ton amour. Je ne veux plus me battre contre toi, mais avec toi pour notre fils. »
Je ne sais pas s’il répondra. Mais j’ai compris une chose : la dignité ne se mesure pas à l’épaisseur d’un portefeuille ou aux ragots des voisins. Elle se construit chaque jour, dans le silence des sacrifices et la lumière fragile de l’espoir.
Parfois je me demande : combien d’autres femmes vivent ce combat en silence ? Et vous, que feriez-vous à ma place ?