Si je n’étais pas rentrée plus tôt : Le jour où tout a basculé
« Tu n’aurais rien su si tu n’étais pas rentrée plus tôt. » Les mots de François résonnent encore dans ma tête, comme un écho amer qui refuse de s’éteindre. Je me revois, ce jeudi-là, poussant la porte de notre appartement à Lyon, les bras chargés de légumes frais et d’herbes pour préparer la blanquette que ma mère adore. Je voulais lui apporter un peu de réconfort à l’hôpital, lui rappeler le goût de la maison. Je n’avais pas prévenu François, pensant qu’il serait encore au travail ou peut-être déjà parti courir comme il le fait souvent.
Mais en entrant, j’ai senti tout de suite que quelque chose clochait. Le silence était trop lourd, l’air chargé d’une tension inhabituelle. J’ai posé mon sac dans la cuisine, puis j’ai entendu des voix étouffées venant du salon. Mon cœur s’est mis à battre plus vite. J’ai avancé à pas feutrés, retenant mon souffle. Et là, je l’ai vu. François, mon mari depuis douze ans, enlacé avec Sophie, notre voisine du dessus. Ils se sont figés, surpris comme des enfants pris en faute. J’ai cru que le sol s’ouvrait sous mes pieds.
« Camille… ce n’est pas ce que tu crois… » a balbutié François, le visage blême. Sophie, elle, n’a rien dit. Elle a ramassé son sac et s’est enfuie, sans un regard pour moi. J’ai senti la colère, la honte, la tristesse m’envahir d’un coup. Je me suis raccrochée à la table pour ne pas tomber.
« Depuis combien de temps ? » ai-je demandé d’une voix étranglée. François a détourné les yeux. « Quelques mois… »
Je me suis assise, incapable de pleurer. Tout défilait dans ma tête : nos vacances en Bretagne, les dîners avec nos amis, les projets de rénovation de l’appartement… Était-ce tout un mensonge ?
François s’est approché, a tenté de poser sa main sur mon épaule. Je l’ai repoussée violemment. « Tu m’as trahie. Tu m’as menti. Et tu oses me dire que si je n’étais pas rentrée plus tôt, je n’aurais rien su ? »
Il s’est effondré sur le canapé, la tête dans les mains. « Je suis désolé, Camille. Je ne voulais pas te faire de mal. Je ne sais pas ce qui m’a pris… Avec ta mère malade, ton travail, j’avais l’impression que tu n’étais plus là… »
Je l’ai regardé, incrédule. « Tu crois que c’est une excuse ? Ma mère lutte contre un cancer, et toi tu… » Je n’ai pas pu finir ma phrase. Les larmes ont enfin coulé, brûlantes.
Le soir même, je suis partie dormir chez ma sœur, Élodie. Elle m’a accueillie sans poser de questions, m’a préparé un thé et m’a serrée dans ses bras. « Tu n’es pas seule, Camille. Prends le temps qu’il te faut. »
Les jours suivants ont été un cauchemar éveillé. Entre les visites à l’hôpital, où je devais sourire pour ne pas inquiéter maman, et les messages de François qui suppliait qu’on se parle, je me sentais écartelée. J’ai tout raconté à Élodie. Elle était furieuse : « Ce type ne te mérite pas. Tu as tout donné pour lui ! »
Mais au fond de moi, une petite voix me murmurait : et si j’avais aussi ma part de responsabilité ? Avais-je trop négligé notre couple, absorbée par le travail et la maladie de maman ? Ou est-ce juste une excuse pour justifier l’injustifiable ?
Un dimanche matin, alors que je préparais des madeleines pour maman, François est venu frapper à la porte d’Élodie. Il avait l’air épuisé, les yeux rougis. « Camille, laisse-moi t’expliquer… »
Je l’ai laissé entrer, plus par lassitude que par envie. Il s’est assis en face de moi, a pris une grande inspiration. « Je ne veux pas te perdre. J’ai fait une énorme erreur. Mais je t’aime, Camille. Je suis prêt à tout pour te prouver que je peux changer. »
Je l’ai regardé longtemps, cherchant dans ses yeux la sincérité. Mais la blessure était trop profonde. « Tu m’as détruite, François. Je ne sais pas si je pourrai te pardonner un jour. »
Il a pleuré, comme un enfant. J’ai eu pitié de lui, mais aussi de moi-même. J’ai pensé à maman, à ce qu’elle dirait si elle savait. Elle qui a toujours cru en la fidélité, en la force du couple.
Les semaines ont passé. J’ai repris le travail, j’ai continué à m’occuper de maman. François m’a écrit des lettres, m’a envoyé des fleurs, a même proposé qu’on aille voir un conseiller conjugal. Mais je n’arrivais pas à lui faire confiance à nouveau.
Un soir, alors que je rentrais tard de l’hôpital, j’ai croisé Sophie dans l’ascenseur. Elle a baissé les yeux, gênée. J’ai eu envie de la gifler, puis je me suis ravisée. Ce n’était pas elle le vrai problème. C’était François, c’était moi, c’était nous.
Finalement, j’ai décidé de demander le divorce. Ce n’était pas une décision facile, mais c’était la seule qui me permettait de respirer à nouveau. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, puis j’ai commencé à reconstruire ma vie, petit à petit.
Aujourd’hui, maman va mieux. Elle est sortie de l’hôpital et on cuisine ensemble tous les dimanches. J’ai déménagé dans un petit appartement à la Croix-Rousse, avec vue sur les toits de Lyon. Parfois, la solitude me pèse, mais je me sens plus forte qu’avant.
Je repense souvent à cette phrase : « Si tu n’étais pas rentrée plus tôt, tu n’aurais rien su. » Est-ce que l’ignorance aurait été préférable ? Ou vaut-il mieux affronter la vérité, aussi douloureuse soit-elle ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?