Quand tout s’effondre : le jour où ma fille m’a accusée de vol

« Tu m’as volé, maman ! »

La voix de Camille résonne encore dans la cuisine, tranchante comme une lame. J’ai lâché la tasse que je tenais ; le café s’est répandu sur le carrelage, se mêlant à mes larmes silencieuses. Je n’aurais jamais cru entendre ces mots sortir de la bouche de ma propre fille. Pas après tout ce que j’ai fait pour elle.

Je m’appelle Anna, j’ai cinquante-deux ans. J’habite à Limoges, dans un petit appartement HLM au rez-de-chaussée, avec vue sur le parking et ses lampadaires fatigués. Mon mari, François, est parti du jour au lendemain quand Camille avait deux ans. Il a laissé derrière lui un mot griffonné sur la table du salon : « Je ne peux plus. » Rien d’autre. Pas d’explication, pas d’adieu. Juste un vide immense et une petite fille qui me regardait avec ses grands yeux bleus, cherchant des réponses que je n’avais pas.

J’ai enchaîné les boulots : caissière chez Intermarché, femme de ménage chez les voisins, serveuse dans un bar PMU où l’odeur du tabac froid me collait à la peau. Je rentrais tard, épuisée, mais toujours avec un sourire pour Camille. Elle était tout ce qui me restait. Je voulais qu’elle ait une vie meilleure que la mienne.

Mais aujourd’hui, quinze ans plus tard, c’est elle qui me regarde avec suspicion. Tout a commencé il y a deux semaines, quand elle a reçu une lettre de sa grand-mère paternelle — une femme que je n’ai jamais pu supporter, mais qui avait gardé contact avec Camille à travers quelques cartes postales et des cadeaux d’anniversaire. Dans cette lettre, il y avait un chèque de 3 000 euros : « Pour tes études à Bordeaux », disait-elle.

Camille était folle de joie. Elle a posé le chèque sur la commode de sa chambre et m’a embrassée en riant : « Tu vois maman, tout va s’arranger ! » Mais deux jours plus tard, le chèque avait disparu.

Je l’ai trouvée en pleurs dans sa chambre, fouillant partout. « Tu l’as pris ? » m’a-t-elle lancé, les yeux rouges de colère et de déception. J’ai cru que mon cœur allait s’arrêter. Comment pouvait-elle penser ça de moi ?

« Camille… tu sais bien que jamais je ne ferais ça… »

Elle a détourné le regard. « Tu travailles tout le temps, t’es toujours stressée par l’argent… Peut-être que tu as craqué… »

Je me suis sentie trahie, humiliée. J’ai passé la nuit à retourner l’appartement de fond en comble, espérant trouver ce fichu chèque pour lui prouver mon innocence. Rien.

Le lendemain matin, j’ai croisé Madame Lefèvre dans l’escalier — la voisine du dessus qui adore colporter des ragots. Elle m’a lancé un regard entendu : « Alors Anna, on a des soucis d’argent ? »

J’ai compris que Camille avait parlé. Toute la résidence allait bientôt savoir que j’étais soupçonnée de voler ma propre fille.

Les jours suivants ont été un enfer. Camille ne me parlait presque plus. Elle sortait tôt le matin pour aller au lycée et rentrait tard le soir. Je l’entendais pleurer derrière sa porte fermée à clé. J’ai tenté d’en parler à ma sœur, Sophie, mais elle m’a répondu sèchement : « Tu sais Anna, parfois on fait des choses sans s’en rendre compte… »

J’étais seule contre tous.

Un soir, alors que je rentrais d’un énième service au bar, j’ai trouvé Camille assise dans le salon, le visage fermé.

« J’ai appelé mamie Monique », a-t-elle dit sans me regarder. « Elle va m’envoyer un autre chèque… Mais cette fois-ci, je le déposerai directement à la banque. »

J’ai senti une rage sourde monter en moi.

« Tu crois vraiment que je suis capable de voler ma propre fille ? Après tout ce que j’ai sacrifié pour toi ? »

Elle a haussé les épaules. « Je sais plus quoi penser… T’es toujours fatiguée, t’as l’air malheureuse… Peut-être que tu voulais juste souffler un peu… »

J’ai claqué la porte et suis sortie marcher dans la nuit glaciale de novembre. Les lampadaires projetaient des ombres étranges sur le bitume mouillé. J’ai repensé à François, à son départ soudain, à toutes ces années où j’avais tenu bon pour Camille. Et maintenant ? Tout ça pour finir accusée par celle pour qui j’avais tout donné.

Le lendemain matin, alors que je préparais du café d’une main tremblante, Camille est entrée dans la cuisine avec un air gêné.

« Maman… Je suis désolée… J’ai retrouvé le chèque… Il était tombé derrière la commode… »

J’ai senti mes jambes flancher. Elle s’est approchée timidement et m’a serrée dans ses bras.

« Pardon maman… J’étais tellement stressée… J’ai eu peur… »

J’aurais voulu lui crier ma douleur, lui dire à quel point ses accusations m’avaient blessée. Mais je me suis contentée de la serrer fort contre moi.

Les semaines suivantes ont été difficiles. La confiance était brisée. On se parlait peu ; chacun marchait sur des œufs. Mais peu à peu, on a recommencé à partager des petits moments : un film ensemble le dimanche soir, une balade au marché le samedi matin.

Un jour, alors que nous étions assises sur le banc du parc en bas de chez nous, Camille a pris ma main.

« Tu sais maman… Je crois que j’avais besoin de trouver quelqu’un à accuser… C’était plus facile que d’admettre que j’avais peur d’échouer toute seule… »

J’ai souri tristement.

« On fait toutes des erreurs, ma chérie… L’important c’est d’apprendre à se pardonner… »

Aujourd’hui encore, il reste des cicatrices. Mais on avance ensemble, main dans la main. Je me demande parfois : comment reconstruire la confiance quand elle a été brisée par ceux qu’on aime le plus ? Est-ce qu’on peut vraiment tout pardonner ? Qu’en pensez-vous ?