Quand Papa est parti : Ma foi face à l’abandon
« Tu n’as rien compris, Maman ! » ai-je crié, la voix brisée, alors que la pluie martelait les carreaux du salon. Mon père venait de claquer la porte, son manteau encore sur le dos, les yeux fuyants. Je revois encore sa silhouette disparaître dans la nuit, sous les lampadaires jaunes de notre rue à Nantes. Ce soir-là, tout s’est effondré. J’avais seize ans, et je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie.
Maman s’est effondrée sur le canapé, les mains tremblantes. « Il va revenir… Il a juste besoin de réfléchir », murmurait-elle, mais je savais qu’elle n’y croyait pas vraiment. Moi non plus. Depuis des mois, les disputes s’enchaînaient : factures impayées, silences lourds à table, reproches murmurés derrière les portes closes. Mais jamais je n’aurais cru que Papa partirait vraiment.
La nuit suivante, je n’ai pas dormi. Je me suis assise sur mon lit, serrant mon vieux chapelet hérité de ma grand-mère Lucienne. Je n’étais pas particulièrement pratiquante, mais ce soir-là, j’ai prié comme jamais. « Mon Dieu, pourquoi nous ? Pourquoi maintenant ? » Les mots sortaient en sanglots étouffés. J’avais besoin d’une réponse, d’un signe, de quelque chose qui me dise que tout irait bien.
Les jours suivants ont été un tourbillon d’émotions. Maman tentait de sauver les apparences devant mes petits frères, Paul et Émilien, mais je voyais bien qu’elle se noyait. Les voisins chuchotaient dans l’escalier de l’immeuble ; certains nous évitaient, d’autres venaient proposer des tartes ou des mots maladroits : « Il faut être forte, tu sais… »
À l’école, j’ai commencé à m’isoler. Mes amies – Camille et Juliette – ne savaient pas quoi dire. Un jour, Camille m’a prise à part : « Tu veux en parler ? » J’ai haussé les épaules. Comment expliquer ce vide qui me rongeait ? Comment dire que j’avais honte de ce qui arrivait chez moi ?
Un soir, alors que je rentrais du lycée sous une pluie fine, j’ai croisé le Père François devant l’église Saint-Clément. Il m’a souri doucement : « Tu veux entrer un instant ? » J’ai hésité puis j’ai accepté. L’église était vide et silencieuse, l’odeur de cire flottait dans l’air. Je me suis assise au fond et j’ai laissé mes larmes couler.
Le Père François s’est approché sans un mot. Après un long silence, il a murmuré : « Parfois, on ne comprend pas tout de suite pourquoi la vie nous frappe si fort. Mais tu n’es pas seule. »
Cette phrase a résonné en moi toute la nuit. Peut-être que je n’étais pas seule. Peut-être que la foi pouvait être autre chose qu’un rituel hérité.
Les semaines ont passé. Papa n’a pas donné de nouvelles. Maman s’est refermée sur elle-même ; elle passait ses soirées à fixer la télévision sans la regarder. Paul faisait semblant de tout ignorer, mais je l’entendais pleurer dans sa chambre. Émilien posait sans cesse des questions : « Il revient quand Papa ? »
Un matin de décembre, alors que la ville se couvrait de givre, j’ai décidé d’aller à la messe toute seule. Je me suis agenouillée et j’ai prié pour ma famille, pour ma mère surtout. J’ai demandé la force de ne pas sombrer dans la colère ou le désespoir.
Petit à petit, j’ai commencé à écrire des lettres à Dieu dans un carnet secret. Je lui racontais mes peurs, mes espoirs, mes souvenirs heureux avec Papa : les balades au parc du Grand Blottereau, les crêpes du dimanche soir… Écrire me soulageait ; c’était comme si je déposais un peu de mon fardeau à chaque page.
Un soir d’hiver, alors que je rangeais la cuisine avec Maman, elle a soudain éclaté en sanglots : « Je ne sais pas comment on va s’en sortir… » Pour la première fois depuis le départ de Papa, je l’ai prise dans mes bras et j’ai murmuré : « On va y arriver ensemble. »
Ce soir-là, j’ai prié non pas pour que Papa revienne – j’avais compris qu’on ne pouvait forcer personne à aimer ou à rester – mais pour que nous trouvions la paix malgré son absence.
Quelques mois plus tard, Papa a envoyé une lettre. Il disait qu’il avait besoin de temps pour lui, qu’il était désolé mais qu’il ne reviendrait pas tout de suite. J’ai pleuré en lisant ses mots, mais j’ai aussi ressenti un étrange soulagement : au moins, il était vivant.
La foi n’a pas effacé la douleur ni réparé notre famille comme par magie. Mais elle m’a donné la force d’avancer un jour après l’autre. J’ai appris à pardonner – à Papa et à moi-même – et à croire qu’on pouvait se reconstruire même après un tel séisme.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de prier dans le silence de ma chambre ou sous les voûtes de l’église Saint-Clément. Je ne demande plus des miracles ; je demande juste le courage d’aimer malgré tout.
Est-ce que vous avez déjà trouvé une force insoupçonnée dans la foi ou la prière ? Comment avez-vous surmonté vos propres tempêtes familiales ?