Quand mon frère et sa femme ont envahi ma vie : l’histoire d’une place qu’on me refuse
« Tu pourrais au moins faire un effort, Camille ! » La voix de ma mère résonne dans le couloir exigu de notre appartement HLM à Montreuil. Je serre les poings, debout devant la porte de la salle de bain, mon sac à la main. Il est 7h30, je suis déjà en retard pour mon boulot à la médiathèque, mais impossible d’entrer : Élodie, la femme de mon frère, monopolise la pièce depuis vingt minutes.
Je n’ai pas le temps de répondre que Julien surgit derrière moi, torse nu, l’air agacé. « Franchement, Camille, tu pourrais comprendre qu’on a besoin d’intimité. On vient d’emménager, c’est pas facile pour nous non plus. »
J’ai envie de hurler. C’est moi qui vis ici depuis toujours. C’est moi qui ai partagé cette chambre minuscule avec mon frère pendant dix-sept ans, qui ai supporté les cris des voisins à travers les murs en carton, qui ai aidé maman à payer le loyer quand papa est tombé malade. Mais aujourd’hui, tout le monde semble avoir oublié que j’existe.
Tout a commencé il y a trois semaines. Julien et Élodie ont perdu leur appartement à Saint-Denis après que leur propriétaire a décidé de vendre. Ils sont venus « temporairement », le temps de se retourner. Maman a ouvert grand les bras, papa a haussé les épaules, et moi… moi je n’ai rien dit. J’ai cru que ce serait pour quelques jours.
Mais les jours sont devenus des semaines. Les cartons s’entassent dans le salon, la table du petit-déjeuner ne suffit plus pour tout le monde, et chaque soir, je me retrouve à dormir sur le canapé pendant que Julien et Élodie occupent MA chambre. Ma chambre !
Un soir, alors que je rentre épuisée du travail, je trouve Élodie en train de repeindre les murs de ma chambre en bleu pâle. « On voulait rafraîchir un peu », dit-elle avec un sourire gêné. Je sens mes yeux me brûler. « Tu pourrais demander avant de changer mes affaires », je murmure. Julien hausse les épaules : « Tu exagères, Camille. On fait ça pour tout le monde. »
À table, l’ambiance est tendue. Maman tente de détendre l’atmosphère : « C’est bien que la famille soit réunie, non ? » Papa ne dit rien, il regarde son assiette comme si elle allait lui révéler une issue de secours. Je me sens étrangère chez moi.
Les disputes éclatent pour un rien : une serviette mouillée oubliée sur le radiateur, du dentifrice écrasé sur le lavabo, la télé trop forte le soir alors que je me lève tôt. Mais ce qui me blesse le plus, c’est ce sentiment d’injustice qui grandit chaque jour.
Un dimanche matin, alors que je prépare du café dans la cuisine minuscule, j’entends maman parler à papa dans la chambre : « Camille devrait peut-être chercher un studio… Elle est grande maintenant. » Mon cœur se serre. Je n’ai pas les moyens de partir seule. Mon salaire ne suffit pas pour louer quoi que ce soit à Paris ou même en banlieue.
Je me sens trahie. Moi qui ai toujours été là pour eux, qui ai renoncé à tant de choses pour aider la famille… Aujourd’hui, on me pousse vers la sortie comme si j’étais un fardeau.
Un soir, après une énième dispute avec Julien à propos du linge sale (« Tu pourrais laver tes affaires ailleurs ! »), je claque la porte et descends m’asseoir sur le banc devant l’immeuble. Il pleut doucement sur Montreuil ; les lampadaires dessinent des ombres tristes sur le bitume.
Mon amie Sophie m’appelle : « Viens dormir chez moi ce soir si tu veux… » Mais je refuse. Ce n’est pas une solution. Je veux juste qu’on me rende ma place.
Les jours passent et la situation empire. Julien commence à parler d’installer un bureau dans « sa » chambre pour télétravailler. Élodie propose de réorganiser la cuisine pour « optimiser l’espace ». Maman ne dit rien mais son regard m’évite.
Un soir, je craque. Je rassemble mes affaires dans un sac et je me plante devant eux dans le salon :
— Vous voulez que je parte ? Dites-le franchement !
Un silence glacial s’installe. Maman pleure doucement. Papa soupire : « Ce n’est facile pour personne… » Julien détourne les yeux.
Je pars chez Sophie cette nuit-là. Dans son petit studio sous les toits à Bagnolet, je pleure toutes les larmes de mon corps.
Les jours suivants, personne ne m’appelle. Pas même maman.
Je me sens vide, trahie par ceux que j’aimais le plus au monde.
Aujourd’hui, cela fait deux semaines que j’ai quitté l’appartement familial. Je dors sur un matelas par terre chez Sophie en attendant mieux. J’ai commencé à chercher un logement social mais la liste d’attente est interminable.
Parfois je me demande : est-ce que j’ai eu tort de partir ? Est-ce que la famille doit toujours passer avant soi-même ? Ou bien faut-il savoir dire stop quand on n’a plus sa place ?
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ?