Quand le Destin S’acharne : L’histoire de Camille et Julien
« Camille, tu ne comprends donc pas ?! Je ne peux plus vivre comme avant ! » La voix de Julien résonne dans l’appartement, brisant le silence du soir. Je serre la poignée de la porte, les larmes me brûlant les yeux. Ce n’est pas la première fois que nous nous disputons depuis l’accident, mais ce soir, quelque chose s’est brisé pour de bon.
Il y a un an, tout était différent. Nous étions deux lycéens insouciants à Bordeaux, amoureux depuis la seconde. Julien me faisait rire avec ses imitations de nos profs, et moi, je rêvais à notre futur : une petite maison près du bassin d’Arcachon, un chien, peut-être deux enfants. Nous avions même choisi la salle pour notre mariage, un vieux chai rénové où la lumière dorée filtrait à travers les vitraux. Nos parents étaient fiers de nous, nos amis jaloux de notre complicité.
Mais un soir d’hiver, tout a basculé. Nous rentrions d’une fête chez Clémence. Il pleuvait fort, la route était glissante. Julien conduisait, moi je chantais à tue-tête sur la radio. Soudain, un bruit sourd, des phares aveuglants, puis le noir total. Je me suis réveillée à l’hôpital, la jambe plâtrée, des bleus partout. Julien… lui, il ne pouvait plus marcher.
Les semaines suivantes ont été un cauchemar. Les médecins parlaient de rééducation, de fauteuil roulant. Sa mère, Madame Lefèvre, m’a prise à part dans le couloir : « Camille, tu es jeune… Tu n’es pas obligée de rester. Julien ne veut pas être un poids pour toi. » J’ai cru mourir en entendant ces mots. Comment pouvais-je abandonner celui que j’aimais ?
Mais la vie quotidienne s’est chargée de m’user. Julien est devenu irritable, distant. Il refusait mes gestes tendres, rejetait mes tentatives d’aide. Un soir, il a jeté son assiette contre le mur en hurlant : « Je ne suis pas un enfant ! Laisse-moi tranquille ! » Ma mère me disait de tenir bon : « L’amour, c’est aussi dans l’épreuve qu’il se prouve. » Mais parfois, l’amour ne suffit pas.
Nos amis se sont éloignés peu à peu. Les invitations aux soirées se sont faites rares. Clémence m’a confié à voix basse : « On ne sait jamais comment se comporter avec Julien… Il fait peur parfois. » Je me suis retrouvée seule à porter le poids de notre histoire brisée.
Un jour d’été, alors que j’essayais de convaincre Julien de sortir au parc, il a éclaté : « Tu ne comprends pas ce que c’est d’être prisonnier de son propre corps ! Tu veux m’aider ? Alors laisse-moi tranquille ! » J’ai claqué la porte et j’ai couru jusqu’à la plage, là où nous avions échangé notre premier baiser. J’ai crié ma douleur face à l’océan.
Le temps a passé. J’ai repris mes études à l’université de Bordeaux, mais mon cœur restait accroché à Julien. Parfois, il m’appelait en pleine nuit, ivre de colère ou de tristesse. Parfois il ne donnait plus signe de vie pendant des semaines.
Un soir d’automne, il m’a envoyé un message : « Je pars chez mon oncle à Lyon pour me reconstruire. Ne m’attends pas. » J’ai relu ces mots cent fois, incapable d’y croire.
Aujourd’hui encore, je repense à tout ce que nous avons perdu. À ce que le destin nous a arraché sans prévenir. Parfois je croise des couples main dans la main et je me demande : aurions-nous pu survivre à cette épreuve si nous avions été plus forts ? Ou bien le destin avait-il décidé pour nous dès le début ?
Est-ce que l’amour peut vraiment tout surmonter ? Ou faut-il parfois accepter que certaines blessures ne guérissent jamais ?