Quand l’amour de mon fils a fait éclater notre famille
« Tu ne comprends pas, maman ! Je l’aime, c’est tout ! »
La voix de Julien résonne encore dans le salon, comme un coup de tonnerre. Je me revois, debout devant la fenêtre, les mains crispées sur le rebord, incapable de répondre. Camille était là, assise sur le canapé, les yeux baissés, ses doigts jouant nerveusement avec la manche de son pull. Je sentais la colère monter en moi, mais aussi une peur sourde, celle de voir mon fils m’échapper.
Tout a commencé il y a deux ans. Julien, mon aîné, étudiant en droit à Lyon, est revenu un week-end avec cette fille. Camille. Elle n’était pas du tout ce que j’imaginais pour lui : cheveux courts teints en bleu, piercings, un rire trop fort pour notre petite ville de Bourgogne. Elle venait d’un quartier populaire de Villeurbanne, ses parents étaient ouvriers. Rien à voir avec notre famille de notaires et d’enseignants. Dès le début, j’ai senti que je ne pourrais jamais l’accepter.
Mon mari, François, essayait d’arrondir les angles : « Hélène, laisse-le vivre sa vie… » Mais moi, je voyais déjà les regards des voisins, les murmures à la boulangerie : « Tu as vu la copine de Julien ? »
Le soir où il nous a annoncé qu’ils allaient se marier, j’ai perdu pied. « Tu fais une erreur, Julien ! Tu ne la connais pas vraiment ! » Il m’a regardée avec une tristesse immense : « Maman, c’est toi qui refuses de la connaître… »
À partir de là, tout s’est enchaîné. Ma fille Lucie a pris le parti de son frère : « Tu es injuste avec Camille ! Elle est gentille et drôle… » François s’est muré dans le silence. Les repas familiaux sont devenus des champs de bataille. Je me suis retrouvée seule contre tous.
Un soir d’hiver, alors que la neige tombait sur le jardin, j’ai surpris une conversation entre Julien et Camille dans la cuisine :
— Elle ne m’aimera jamais…
— Ce n’est pas toi le problème, Camille. C’est moi. Elle ne veut pas me voir changer.
J’ai senti mon cœur se serrer. Était-ce vrai ? Avais-je peur que mon fils devienne quelqu’un d’autre ? Ou avais-je simplement peur de perdre ma place dans sa vie ?
Les semaines ont passé. Julien a déménagé à Lyon avec Camille. Il venait moins souvent. Les appels se faisaient rares. J’ai commencé à regretter mes paroles dures, mais l’orgueil m’empêchait de faire le premier pas.
Un dimanche matin, Lucie est venue me voir dans la cuisine :
— Maman, tu vas finir par perdre Julien si tu continues comme ça.
— Je veux juste ce qu’il y a de mieux pour lui !
— Mais c’est à lui de décider ce qui est bien pour lui…
J’ai éclaté en sanglots. Lucie m’a prise dans ses bras. Pour la première fois depuis des mois, j’ai laissé tomber le masque.
Quelques semaines plus tard, j’ai reçu une lettre de Julien :
« Maman,
Je sais que tu as du mal à accepter Camille. Mais elle me rend heureux. J’aurais aimé que tu puisses voir ce que je vois en elle. J’espère qu’un jour tu comprendras.
Je t’aime.
Julien »
J’ai relu ces mots des dizaines de fois. J’ai pensé à ma propre mère qui n’avait jamais accepté François parce qu’il n’était pas du même milieu qu’elle. Avais-je reproduit le même schéma ?
Le mariage approchait. J’ai hésité longtemps avant de répondre à l’invitation. La veille du grand jour, Lucie m’a dit :
— Tu peux encore changer les choses, maman.
Le lendemain matin, j’ai pris la route pour Lyon, le cœur battant. À l’église, j’ai vu Julien au bras de Camille. Ils rayonnaient de bonheur. Quand ils m’ont aperçue au fond de la nef, les yeux de mon fils se sont remplis de larmes.
Après la cérémonie, Camille est venue vers moi :
— Merci d’être venue…
Je n’ai rien su dire. Je l’ai prise maladroitement dans mes bras. Pour la première fois, j’ai vu non pas une étrangère mais une jeune femme amoureuse de mon fils.
Aujourd’hui encore, la blessure n’est pas totalement refermée. Il y a des maladresses, des silences gênants lors des repas de famille. Mais j’essaie d’apprendre à connaître Camille sans mes préjugés.
Parfois je me demande : ai-je été une mauvaise mère ? Ou simplement une femme qui avait peur de perdre ce qu’elle aimait le plus ? Et vous… jusqu’où iriez-vous pour garder vos enfants près de vous ?