Quand la vérité fait mal : amitié, trahison et un enfant

— Tu viens voir le bébé ?

La voix de Camille tremble d’émotion. Je hoche la tête, le cœur battant, en franchissant la porte de la chambre 312 de la maternité de l’hôpital Saint-Antoine. L’odeur âcre du désinfectant me monte à la gorge, mais c’est autre chose qui me serre la poitrine : une peur sourde, inexplicable, qui me ronge depuis des semaines. Je n’ai pas dormi cette nuit. J’ai repassé dans ma tête mille fois les derniers mois, les regards fuyants de Marek, les silences gênés de Camille, les messages effacés sur son téléphone.

Camille est allongée sur le lit, pâle mais rayonnante, un petit paquet rose dans les bras. Je m’approche, les mains moites. Elle me sourit, fatiguée.

— Il s’appelle Louis, murmure-t-elle. Tu veux le prendre ?

Je tends les bras, maladroite. Le bébé ouvre les yeux. Deux grands yeux noisette, exactement comme ceux de Marek. Mon cœur s’arrête. Je reste figée, le souffle coupé.

— Ça va, Claire ? Tu es toute blanche…

Je rends le bébé à Camille, les mains tremblantes. Je bredouille une excuse, prétextant un malaise. Je sors dans le couloir, m’appuie contre le mur froid. Les larmes me montent aux yeux. Tout s’effondre.

Je revois les soirées passées ensemble, les vacances à La Baule, les confidences partagées autour d’un verre de vin. Camille, ma sœur de cœur depuis le lycée. Marek, mon mari depuis huit ans, si attentionné… ou du moins je le croyais. Comment ai-je pu être aussi aveugle ?

Je compose son numéro. Il décroche aussitôt.

— Claire ? Tout va bien ?

Sa voix me donne envie de hurler.

— Il faut qu’on parle, Marek. Maintenant.

Je l’attends devant l’hôpital. Il arrive en courant, essoufflé, l’air inquiet.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Je le fixe droit dans les yeux.

— Dis-moi la vérité. Est-ce que tu as couché avec Camille ? Est-ce que Louis est ton fils ?

Il pâlit, détourne le regard. Un silence épais s’installe. J’ai envie de le gifler, de hurler, mais je me retiens. Il finit par murmurer :

— Je suis désolé… C’était une erreur… C’était il y a un an, après cette soirée chez les Dubois… On avait trop bu… Je ne voulais pas te blesser…

Je sens mes jambes flancher. Je m’assieds sur le banc glacé. Tout s’emmêle dans ma tête : la trahison de mon mari, celle de ma meilleure amie, ce bébé innocent qui n’a rien demandé à personne.

Les jours suivants sont un cauchemar éveillé. Je ne dors plus. Je tourne en rond dans notre appartement du 11e arrondissement, chaque pièce me rappelant un souvenir heureux devenu amer. Marek tente de s’expliquer, de se justifier : « Je t’aime, Claire, c’est toi que j’aime ! » Mais comment croire encore à l’amour après une telle trahison ?

Camille m’envoie des messages, des lettres que je n’ouvre pas. Elle supplie qu’on se voie, qu’on parle. Mais je ne peux pas. Pas encore.

Ma mère débarque sans prévenir un matin.

— Claire, tu ne peux pas rester comme ça… Tu dois affronter les choses.

Je fonds en larmes dans ses bras.

— Comment on fait pour continuer quand tout ce qu’on croyait solide s’écroule ?

Elle me caresse les cheveux comme quand j’étais petite.

— On avance, un pas après l’autre. On apprend à pardonner… ou à vivre sans ceux qui nous ont blessés.

Je décide d’aller voir Camille. Elle m’attend dans son salon, Louis endormi contre elle. Ses yeux sont rouges d’avoir pleuré.

— Je suis désolée, Claire… Je n’aurais jamais dû… Je ne voulais pas te faire de mal…

Je la coupe d’un geste.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Pourquoi tu as gardé ça pour toi ?

Elle baisse la tête.

— J’avais honte… J’avais peur de te perdre…

Un silence lourd s’installe. Je regarde Louis dormir paisiblement. Il n’a rien demandé à tout ça.

— Qu’est-ce que tu attends de moi ?

Camille relève les yeux vers moi.

— Je veux juste que tu saches que je t’aime toujours comme une sœur… Que je regrette chaque seconde…

Je sens la colère monter, mais aussi une immense tristesse. Je ne sais plus si je dois pleurer ou crier.

Les semaines passent. Je commence une thérapie. Marek dort sur le canapé. Je ne sais pas si je pourrai lui pardonner un jour. Je reprends le travail à la médiathèque du quartier, tente de retrouver un semblant de normalité.

Un soir, alors que je range des livres pour enfants, une petite fille me demande :

— Pourquoi tu es triste, madame ?

Je souris faiblement.

— Parfois, les grandes personnes ont des chagrins qu’elles ne savent pas expliquer…

En rentrant chez moi ce soir-là, je regarde Paris s’endormir sous la pluie et je me demande : est-ce qu’on peut vraiment recommencer à zéro ? Est-ce que la confiance peut renaître après une telle trahison ? Ou faut-il tout laisser derrière soi pour espérer guérir un jour ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?