Quand des inconnus frappent à ma porte : une nuit d’angoisse dans une tour HLM de Créteil

« Ouvre-nous, c’est chez nous ! » La voix grave de l’homme résonne derrière la porte, brisant le silence de mon petit appartement du 7e étage. Je serre la poignée, le cœur battant à tout rompre. Il est 22h30, un jeudi soir comme tant d’autres à Créteil, et je m’apprêtais à me faire un thé avant de regarder un épisode de ma série préférée. Jamais je n’aurais imaginé que la simple sonnerie de l’interphone bouleverserait ma vie.

Je jette un œil par le judas : un couple, la quarantaine, et une petite fille blottie contre sa mère. L’homme frappe plus fort. « On sait que vous êtes là ! Cet appartement est à nous, rendez-nous nos clés ! »

Je recule, paniquée. Je m’appelle Camille, j’ai 29 ans, et je loue ce deux-pièces depuis trois ans. Jamais je n’ai eu de problème avec mes voisins, jamais je n’ai ressenti la moindre insécurité ici. Mais ce soir, tout vacille.

J’attrape mon téléphone et compose le numéro de mon père. « Papa… Il y a des gens devant ma porte, ils disent que c’est chez eux… »

Sa voix tente de me rassurer : « Ne leur ouvre surtout pas. Appelle la police si ça continue. »

De l’autre côté de la porte, la femme se met à pleurer. « S’il vous plaît, laissez-nous entrer… Notre vie est ici… »

Je sens les larmes me monter aux yeux. Et si c’était vrai ? Et si une erreur administrative avait eu lieu ? Je repense à toutes ces histoires de squats, d’expulsions, de familles à la rue… Mais pourquoi moi ? Pourquoi ce soir ?

Je décide d’appeler la police. La voix du standardiste est ferme : « Ne leur ouvrez pas. Une patrouille arrive dans dix minutes. »

Dix minutes. Dix longues minutes où les coups redoublent, où les cris s’intensifient. J’entends la petite fille sangloter : « Maman, j’ai peur… »

Mon esprit s’emballe. Dois-je leur ouvrir ? Leur offrir un verre d’eau ? Mais si c’est une arnaque ? Si je me fais agresser ? Je pense à ma mère qui me répète toujours : « On ne laisse jamais entrer des inconnus chez soi, même s’ils ont l’air gentils. »

Soudain, j’entends des voix dans le couloir. Mes voisins, M. et Mme Lefèvre, sortent sur le palier.

— Qu’est-ce qui se passe ici ? demande Mme Lefèvre.
— Cette fille occupe notre appartement ! crie l’homme.
— Mais non, c’est Camille qui habite là depuis des années !

Un silence gênant s’installe. La femme éclate en sanglots.

— On nous a tout pris… On n’a plus rien…

La police arrive enfin. Deux agents calment tout le monde et demandent les papiers de chacun. Je leur montre mon bail, mes quittances de loyer. L’homme sort une vieille clé rouillée.

— Regardez ! Cette clé ouvre cette porte !

L’un des policiers essaie : la clé ne tourne pas.

— Monsieur, cet appartement appartient à la société HLM depuis 1998. Mademoiselle est locataire en règle.

L’homme s’effondre contre le mur. La petite fille pleure en silence. Les policiers les emmènent dans le couloir pour discuter.

Je reste seule, tremblante, assise sur le carrelage froid de mon entrée. J’entends des bribes de conversation : « Expulsés il y a deux ans… N’ont jamais accepté… Reviennent chaque semaine… »

Je pense à eux, à leur détresse. À moi aussi, qui ai failli céder à la peur ou à la pitié. Je repense à toutes ces frontières invisibles entre nous : une porte fermée, un bail signé, un regard méfiant.

Le lendemain matin, je croise Mme Lefèvre dans l’ascenseur.

— Tu as eu du courage hier soir, Camille… Mais tu sais, on ne sait jamais ce que les gens traversent vraiment.

Je hoche la tête sans répondre. Toute la journée, je reste hantée par cette nuit-là. Par cette question lancinante : jusqu’où doit-on aller pour protéger son espace sans perdre son humanité ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Auriez-vous ouvert votre porte ou gardé vos distances ?