Promotion à tout prix : L’histoire de Claire Dubois
— Tu rentres encore tard, Claire ?
La voix de mon mari, Julien, résonne dans le couloir sombre de notre appartement du 11ème arrondissement. Je claque la porte, épuisée, le manteau encore sur le dos. Il est 22h passées. Je sens la colère monter, mais je ravale mes mots. Je sais ce qu’il pense, ce qu’il ne dit pas : que je ne suis plus là, ni pour lui, ni pour nos enfants, Camille et Paul. Mais ce soir, je n’ai pas la force de me justifier. Je pose mon sac, j’évite son regard.
Dans la salle à manger, la lumière est tamisée. Les assiettes sales traînent sur la table. Camille a laissé un dessin pour moi, un soleil maladroit entouré de cœurs. Je le serre contre ma poitrine, la gorge nouée. Depuis des mois, je ne vis plus qu’à moitié. Mon esprit est ailleurs, happé par la course effrénée au sein de la société Durand & Fils, où je travaille depuis dix ans. Depuis l’annonce du départ de la directrice commerciale, tout le monde se bat pour sa place. Moi plus que les autres.
Je repense à la réunion de ce matin. Monsieur Lefèvre, le PDG, m’a lancé ce regard perçant :
— Claire, vous savez que ce poste exige une implication totale. Êtes-vous prête à faire ce qu’il faut ?
J’ai hoché la tête, la voix tremblante :
— Oui, Monsieur. Je suis prête.
Mais à quel prix ?
Le lendemain, j’arrive au bureau avant l’aube. Les couloirs sont silencieux, presque oppressants. Je croise Sophie, ma collègue et amie de toujours. Elle me sourit faiblement.
— Tu sais, Claire, ils disent que tu es la favorite… Mais attention à Pierre. Il ne reculera devant rien.
Je souris, mais mon cœur se serre. Pierre, mon rival, a déjà tenté de me discréditer devant la direction. Il a insinué que mes résultats étaient gonflés, que je profitais de mon réseau personnel. J’ai dû me battre pour prouver ma légitimité. Mais à force de lutter, j’ai perdu le sommeil, l’appétit… et peu à peu, le lien avec ma famille.
Un soir, alors que je travaille sur un dossier crucial, Julien entre dans mon bureau à la maison.
— Claire, tu ne vois pas que tu t’éloignes de nous ? Camille pleure tous les soirs, Paul ne te parle plus… Et moi, je me sens invisible.
Je lève les yeux, épuisée :
— Je fais ça pour nous ! Pour que notre vie soit meilleure !
Il secoue la tête, les yeux humides :
— Mais à quoi bon, si tu n’es plus là ?
Je reste sans voix. Les mots me manquent. Je me sens piégée entre deux mondes qui s’éloignent l’un de l’autre.
Quelques jours plus tard, la nouvelle tombe : j’ai le poste. Monsieur Lefèvre me serre la main, fier. Les collègues applaudissent. Pierre me lance un regard noir. Je devrais être heureuse, mais je ne ressens rien. Juste un grand vide.
Le soir même, je rentre chez moi avec une bouteille de champagne. Mais l’appartement est silencieux. Julien est parti chez sa sœur avec les enfants. Un mot sur la table : « On a besoin de respirer. »
Je m’effondre sur le canapé, la tête entre les mains. Tout ce pour quoi j’ai sacrifié tant de nuits blanches, tant de moments en famille… pour me retrouver seule. Je repense à Sophie, à ses avertissements. À Pierre, qui a tenté de me piéger. À mes enfants, qui grandissent sans moi.
Les semaines passent. Je m’enterre dans le travail. Les résultats sont là, mais le cœur n’y est plus. Julien revient parfois chercher des affaires. Il ne me regarde plus comme avant. Camille m’évite. Paul ne décroche pas un mot.
Un soir d’hiver, alors que Paris s’endort sous la pluie, je me regarde dans le miroir. Qui suis-je devenue ? Une femme forte, admirée au bureau, mais brisée à la maison. Est-ce cela, le prix du succès ?
Je me souviens de ma mère, qui me disait : « On ne peut pas tout avoir, Claire. » Je ne voulais pas la croire. J’ai voulu prouver le contraire. Mais aujourd’hui, je doute.
Je me tourne vers vous, lecteurs : Jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour réussir ? Et si c’était à refaire… referiez-vous les mêmes choix que moi ?