Pourquoi j’ai accepté de garder mon petit-fils : Plus jamais ça

« Tu ne peux vraiment pas, Camille ? » Ma voix tremble un peu, même si je tente de la rendre ferme. Camille, ma fille aînée, soupire à l’autre bout du fil. « Maman, tu sais bien que je dois aller travailler. Et puis, Léa a ses cours et son rendez-vous au salon… On n’a personne d’autre. »

Je regarde l’horloge de la cuisine. Il est 7h12. Le café fume dans ma tasse, mais déjà, je sens la boule d’angoisse se former dans mon ventre. Je n’ai pas dormi cette nuit, trop inquiète pour Paul, mon petit-fils de trois ans, malade depuis deux jours. La crèche l’a refusé ce matin à cause de sa fièvre. Je me dis que ce n’est qu’une journée, que je peux bien rendre service. Après tout, n’est-ce pas ce que font les grands-mères ?

À 8h15, Camille arrive en trombe avec Paul dans les bras. Il gémit, la joue rouge et les yeux brillants. « Il n’a presque rien mangé ce matin », dit-elle en déposant son sac à langer sur la table. « Je reviens vers 19h. Merci maman, vraiment. » Elle m’embrasse à peine et repart déjà, téléphone collé à l’oreille.

Je me retrouve seule avec Paul, qui commence à pleurer dès que la porte claque. Je tente de le rassurer, mais il se débat et crie : « Maman ! » Je sens mon cœur se serrer. Je me rappelle soudain mes propres enfants malades, mes nuits blanches, mes angoisses de jeune mère. Mais aujourd’hui, j’ai 62 ans et je me sens fatiguée avant même d’avoir commencé.

La matinée s’étire dans une succession de petits drames : Paul refuse son sirop, renverse son jus d’orange sur le tapis du salon, puis vomit sur mon pull préféré. Je tente de le distraire avec ses jouets, mais il ne veut que sa mère ou sa grande sœur Léa. J’appelle Léa pour voir si elle peut passer entre deux cours. Elle répond sèchement : « J’ai pas le temps Mamie, j’ai un oral important et après je dois filer au salon pour mon stage. »

Midi arrive enfin. J’essaie de faire manger Paul mais il repousse tout avec colère. Je sens la fatigue m’envahir et la colère monter : pourquoi suis-je toujours celle sur qui tout repose ? Pourquoi Camille ne peut-elle pas prendre un jour de congé ? Pourquoi Léa ne peut-elle pas sacrifier une heure pour son petit frère ?

À 14h, Paul s’endort enfin sur le canapé. Je m’assois à côté de lui et laisse couler quelques larmes silencieuses. Je pense à mon mari décédé il y a cinq ans, à cette maison qui résonne aujourd’hui de cris d’enfants alors qu’elle était devenue si silencieuse. Je me demande si c’est ça, vieillir : être utile seulement quand on a besoin de vous.

Vers 16h, Paul se réveille en pleurant plus fort encore. Sa fièvre est montée. Je panique un peu et appelle Camille : « Il a presque 40°C ! Tu peux rentrer plus tôt ? » Elle souffle : « Je suis en réunion… Donne-lui du Doliprane et surveille-le. »

Je me sens seule face à cette responsabilité écrasante. J’appelle le médecin qui me rassure mais je sens bien que je ne suis plus aussi solide qu’avant. Paul finit par s’endormir dans mes bras, trempé de sueur.

À 19h30, Camille arrive enfin, épuisée elle aussi. Elle prend Paul sans un mot pour moi et file dans la voiture. Léa m’envoie un message : « Merci Mamie t’es la meilleure », suivi d’un cœur. Mais je n’ai pas envie de répondre.

Je m’assois dans la cuisine vide et regarde le désordre laissé derrière eux : tasses sales, jouets éparpillés, odeur persistante de vomi. Je me demande pourquoi tout le monde trouve normal que je sois toujours disponible, toujours prête à sacrifier mes journées pour eux.

Le lendemain matin, Camille m’appelle pour savoir si je peux garder Paul encore une journée. Cette fois-ci, je dis non.

Est-ce égoïste de vouloir penser un peu à moi ? Est-ce que les grands-mères ont le droit de dire stop ? Qu’en pensez-vous ?