Ne viens plus, maman – Histoire d’une foi perdue et de la douleur maternelle
« Ne viens plus, maman. »
La voix de Paul résonne encore dans ma tête, froide, tranchante, comme un couperet. Je me revois, debout sur le palier de leur appartement à Lyon, les mains tremblantes, le cœur battant à tout rompre. Camille, sa femme, se tenait derrière lui, les bras croisés, le regard dur. J’ai cru un instant qu’il allait me prendre dans ses bras, comme avant, mais il a juste répété : « Ne viens plus. »
Je n’ai pas compris tout de suite. J’ai cru à une mauvaise blague, à une dispute passagère. Mais non. Camille venait de m’accuser d’avoir dit des choses blessantes à propos de leur fille, Lucie. Des mots que je n’ai jamais prononcés. Elle m’a regardée droit dans les yeux : « Tu as dit que Lucie était mal élevée et que je n’étais pas une bonne mère. »
J’ai senti mes jambes fléchir. Jamais je n’aurais pu dire ça. Lucie est mon unique petite-fille, mon rayon de soleil. Mais Paul n’a pas cherché à comprendre. Il a cru Camille. Il a cru sa femme plutôt que sa propre mère.
Je suis rentrée chez moi en titubant, le visage inondé de larmes. L’appartement était silencieux, trop grand pour moi seule depuis la mort de Jacques, mon mari. J’ai erré dans le salon, touchant machinalement les photos de famille sur le buffet : Paul enfant sur la plage de Saint-Malo, Paul adolescent lors de sa remise de diplôme… Où avais-je failli ?
Le lendemain, j’ai tenté d’appeler Paul. Messagerie. J’ai envoyé un message : « Mon chéri, je t’en supplie, écoute-moi… » Pas de réponse. Les jours ont passé. J’ai écrit une lettre à Camille, suppliant qu’on se parle toutes les deux. Elle m’a répondu par un simple SMS : « Laisse-nous tranquilles. »
J’ai sombré dans une solitude épaisse. Mes amies du club de lecture ont bien vu que quelque chose n’allait pas. Françoise m’a prise à part :
— Madeleine, tu veux en parler ?
Je n’ai pas pu retenir mes larmes.
— Je ne comprends pas… Je croyais avoir tout donné à Paul…
Les semaines sont devenues des mois. Noël est arrivé. J’ai préparé des cadeaux pour Lucie et Paul, espérant un miracle. Mais personne n’est venu frapper à ma porte. J’ai mangé seule devant la télévision, le cœur serré en entendant les rires des voisins.
Un soir de janvier, j’ai croisé Paul par hasard au marché des Brotteaux. Il était avec Lucie. Mon cœur s’est emballé.
— Paul !
Il s’est figé, Lucie s’est cachée derrière lui.
— Maman… Je t’ai dit de ne plus venir.
— Mais Paul… Je t’en supplie… Je n’ai jamais dit ça à Camille… Je t’aime…
Il a détourné les yeux.
— C’est trop tard.
J’ai vu Lucie me regarder avec incompréhension. J’aurais voulu lui dire que je l’aimais plus que tout au monde.
Les jours suivants ont été un supplice. Je me suis remise en question mille fois : ai-je été trop présente ? Trop envahissante ? Ai-je mal jugé Camille ?
Un dimanche matin, j’ai reçu une lettre manuscrite de Camille. Elle disait : « Je ne peux pas te pardonner ce que tu as dit sur moi et ma fille. Paul souffre trop. » J’ai relu ces mots des dizaines de fois. Pourquoi tant de haine ?
J’ai commencé à écrire dans un carnet chaque souvenir avec Paul : ses premiers pas, ses chagrins d’enfant, nos vacances en Bretagne… J’espérais y trouver une réponse, une faille dans mon amour maternel qui expliquerait tout cela.
Un soir d’avril, Françoise est venue dîner chez moi.
— Tu ne peux pas rester comme ça, Madeleine. Il faut que tu vives pour toi maintenant.
Mais comment vivre quand on vous arrache votre enfant ?
J’ai pensé à aller voir un prêtre, demander conseil. Mais même la foi m’a semblé lointaine.
Un matin, j’ai croisé Camille seule devant l’école de Lucie.
— Camille… Je t’en supplie… Dis-moi ce que j’ai fait pour mériter ça…
Elle m’a regardée avec froideur.
— Tu ne comprends donc pas ? Tu as toujours voulu tout contrôler dans la vie de Paul. Maintenant c’est fini.
Je suis restée sans voix.
De retour chez moi, j’ai compris que je devais lâcher prise. Que parfois aimer veut dire accepter de perdre.
Aujourd’hui encore, chaque bruit dans le couloir me fait espérer que Paul va revenir frapper à ma porte avec Lucie dans ses bras. Mais le silence est toujours là.
Ai-je été une mauvaise mère ? Est-ce possible qu’un malentendu détruise tout ce qu’on a construit en une vie ? Dites-moi… Est-ce qu’on peut vraiment pardonner l’injustice quand elle vient de ceux qu’on aime le plus ?