Mon Mari, l’Avare : Rêver de Liberté dans une Cage Dorée
« Tu as vraiment besoin de ce café en terrasse, Hélène ? » La voix de Paul résonne dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je serre la tasse entre mes mains, le regard fixé sur la mousse qui s’effondre. Il est 8h du matin, la lumière traverse les rideaux de notre appartement haussmannien du 15e arrondissement. Dehors, Paris s’éveille, mais à l’intérieur, je suffoque déjà.
Paul, mon mari depuis dix ans, est tout ce qu’on attend d’un homme moderne : élégant, cultivé, ingénieur dans une grande entreprise. À la maison, il parle d’écologie, de consommation responsable, de minimalisme. Mais derrière ces beaux discours se cache une avarice maladive. Chaque dépense est disséquée, chaque ticket de caisse analysé. J’ai appris à cacher mes achats comme une adolescente prise en faute. Un rouge à lèvres ? « Inutile. Tu en as déjà trois. » Un livre ? « Tu peux l’emprunter à la bibliothèque. » Même pour acheter un pain au chocolat à notre fils Louis, il soupire : « Tu sais combien ça coûte sur l’année ? »
Je me souviens du jour où tout a basculé. C’était un samedi pluvieux. Je venais de perdre mon emploi dans une petite maison d’édition. Paul a haussé les épaules : « Ce n’est pas grave, tu n’as qu’à t’occuper plus de la maison. » Mais très vite, il a commencé à contrôler chaque centime que je dépensais. Ma carte bancaire a disparu « pour éviter les tentations ». Il me donnait de l’argent au compte-goutte, comme une aumône. J’ai eu honte d’en parler à mes parents ; ils voyaient en Paul le gendre idéal.
Un soir, lors d’un dîner chez sa sœur Claire à Versailles, la conversation a dérapé. Claire a lancé : « Paul, tu pourrais lâcher un peu la bride à Hélène ! Elle n’est pas ta fille ! » Paul a ri jaune : « Je gère le budget familial, c’est normal. » J’ai senti tous les regards sur moi. J’aurais voulu disparaître sous la table.
À la maison, la dispute a éclaté :
— Tu m’humilies devant ta famille !
— Tu crois que c’est facile pour moi ? Tu dépenses sans réfléchir !
— Je veux juste vivre normalement…
— Normalement ? Tu veux dire gaspiller ?
Depuis ce soir-là, j’ai arrêté de parler d’argent avec lui. Je fais semblant d’être d’accord, je souris aux amis qui nous envient notre vie confortable. Mais chaque matin, je me réveille avec cette boule au ventre.
Louis grandit et commence à poser des questions :
— Maman, pourquoi papa ne veut jamais qu’on parte en vacances ?
— Parce qu’il dit qu’on doit économiser pour plus tard.
Mais quel « plus tard » ? Quand tout sera trop tard pour vivre ?
Un jour, j’ai croisé Sophie au marché. Elle m’a prise dans ses bras :
— Tu as l’air fatiguée… Ça va chez toi ?
J’ai éclaté en sanglots au milieu des étals de légumes. Elle m’a invitée chez elle et j’ai tout déballé : la honte, la colère, la solitude. Elle m’a parlé d’une association pour femmes victimes de violences économiques. Je n’avais jamais mis de mots sur ce que je vivais.
Le soir même, j’ai fouillé sur Internet : « violence économique conjugale ». Les témoignages ressemblaient au mien : des femmes enfermées dans une cage dorée, privées d’autonomie sous couvert de gestion raisonnable.
J’ai commencé à cacher un peu d’argent dans un vieux pot de confiture au fond du placard. Quelques billets glanés en vendant des livres sur Le Bon Coin ou en donnant des cours particuliers à la fille de la voisine. Ce petit trésor secret me donnait l’impression de respirer à nouveau.
Mais Paul a fini par s’en rendre compte.
Un soir, il a trouvé le pot.
— C’est quoi ça ? Tu me voles maintenant ?
— Je ne te vole pas ! J’essaie juste d’exister…
Il a claqué la porte et n’est pas rentré avant minuit.
Depuis ce jour-là, il ne me parle presque plus. Il gère tout par mail ou post-it collés sur le frigo : « Courses à faire », « Factures à payer », « Ne pas oublier le rendez-vous chez le dentiste pour Louis ».
Je vis dans le silence et la peur du prochain reproche. Parfois je rêve de partir loin avec Louis, recommencer ailleurs. Mais où irais-je ? Sans travail stable, sans famille proche…
Un matin, alors que je déposais Louis à l’école, il m’a serrée fort :
— Maman, tu es triste ?
J’ai souri pour ne pas pleurer.
Ce soir-là, j’ai écrit une lettre que je n’ai jamais envoyée :
« Paul,
Je t’aime encore quelque part au fond de moi. Mais ton avarice m’a volé ma liberté et ma dignité. Je ne suis pas ta chose ni ton investissement rentable. Je suis ta femme et la mère de ton fils. J’ai besoin d’air… »
Je relis ces mots chaque fois que j’hésite à franchir le pas du divorce. La peur du vide me retient encore.
Mais combien de temps peut-on survivre sans amour ni respect ? Est-ce que d’autres femmes vivent cela en silence ? Et vous, jusqu’où supporteriez-vous qu’on vous prive du droit de vivre simplement ?