Ma sœur, mon invitée éternelle : quand la famille devient un fardeau

— Tu pourrais au moins frapper avant d’entrer dans ma chambre !

Ma voix tremble, mais Élodie ne lève même pas les yeux de son téléphone. Elle s’installe sur mon lit, comme si c’était le sien, et soupire :

— Oh, ça va, on n’a jamais eu besoin de ça entre nous.

Je serre les poings. Je me rappelle encore le jour où elle a débarqué avec ses valises, les yeux rougis par les larmes, la voix brisée : « Justine, je n’ai nulle part où aller. » Sans réfléchir, j’ai dit oui. Bien sûr que j’allais l’aider. C’est ma sœur, après tout. On a partagé tant de choses…

Mais aujourd’hui, je me sens étrangère dans mon propre appartement. Elle laisse traîner ses affaires partout, invite ses amis sans me prévenir, monopolise la salle de bain le matin alors que je dois partir travailler. Même mon chat, Gustave, semble avoir changé d’allégeance : il dort désormais sur ses genoux.

Au début, je me disais que ce n’était que temporaire. Qu’elle allait vite se remettre sur pied après sa rupture avec ce salaud de Vincent et repartir vers une nouvelle vie. Mais les semaines sont devenues des mois. Et chaque jour, elle s’installe un peu plus.

Un soir, alors que je rentre épuisée du travail, je trouve Élodie et deux de ses copines en train de rire bruyamment dans le salon. Des bouteilles vides jonchent la table basse. Je n’ai même pas la force de protester. Je m’enferme dans ma chambre et j’écoute leurs éclats de voix à travers la cloison.

Le lendemain matin, je tente une conversation :

— Élodie, il faudrait qu’on parle de l’organisation…

Elle m’interrompt :

— Tu sais que je cherche du boulot ! Tu veux que je parte ? C’est ça ?

Son regard blessé me fait mal. Je me sens coupable aussitôt. Pourtant, ce n’est pas ce que j’ai dit… Mais elle sait appuyer là où ça fait mal.

Les jours passent et la tension monte. Maman appelle souvent pour prendre des nouvelles :

— Alors, comment ça se passe avec ta sœur ? Elle tient le coup ?

Je mens :

— Oui, tout va bien. On s’entraide.

Mais la vérité, c’est que je m’efface peu à peu. Je n’ose plus inviter mes amis. Je mange seule dans la cuisine pendant qu’Élodie occupe le salon avec ses séries Netflix. Parfois, je me surprends à rêver qu’elle parte enfin… puis je culpabilise aussitôt.

Un dimanche matin, alors que je prépare le petit-déjeuner, Élodie débarque en râlant :

— T’as encore acheté du lait demi-écrémé ? Tu sais bien que je préfère le lait entier !

Je lâche la tasse qui se brise au sol. Un silence lourd s’installe.

— Tu pourrais au moins dire merci… murmuré-je.

Elle me regarde comme si j’étais folle.

— Merci ? Pour quoi ? Pour m’avoir accueillie ? C’est normal entre sœurs !

Je sens les larmes monter. Je repense à notre enfance à Lyon, à nos secrets chuchotés sous la couette, à nos disputes qui finissaient toujours en éclats de rire. Où est passée cette complicité ?

Ce soir-là, je décide d’en parler à mon amie Camille :

— Je n’en peux plus… J’ai l’impression d’être une intruse chez moi.

Camille me prend la main :

— Tu as le droit de poser des limites, Justine. Même avec ta sœur.

Mais comment faire sans tout casser ? Sans passer pour la méchante ?

Quelques jours plus tard, alors qu’Élodie rentre tard et fait claquer la porte, je prends mon courage à deux mains.

— Élodie, il faut qu’on parle sérieusement.

Elle s’assoit en face de moi, les bras croisés.

— Je t’écoute.

Ma voix tremble mais je continue :

— J’ai besoin de retrouver mon espace… Je t’aime, mais cette situation ne peut plus durer comme ça. Il faut qu’on trouve une solution.

Elle détourne les yeux. Un long silence s’installe. Puis elle murmure :

— Tu veux que je parte…

Je secoue la tête :

— Non… Je veux juste qu’on se respecte toutes les deux. Que tu comprennes que j’ai aussi besoin d’intimité.

Les jours suivants sont tendus. Élodie fait des efforts : elle range un peu plus, me demande avant d’inviter du monde. Mais l’ambiance n’est plus la même. Un soir, elle m’annonce qu’elle a trouvé une colocation et qu’elle partira à la fin du mois.

Je ressens un soulagement mêlé d’une immense tristesse. Avons-nous brisé quelque chose d’irréparable ? Ou fallait-il simplement apprendre à se dire les choses ?

Aujourd’hui encore, je me demande : pourquoi est-il si difficile de poser des limites à ceux qu’on aime ? Est-ce vraiment égoïste de vouloir préserver son espace ? Qu’en pensez-vous ?