Ma famille, ces profiteurs : comment j’ai décidé de dire stop

« Tu ne trouves pas qu’ils exagèrent, Guillaume ? » Ma voix tremblait, coincée entre la colère et la lassitude. Il était vingt-deux heures passées, et la lumière du salon filtrait encore sous la porte de la chambre d’amis. Ma sœur, Camille, et son compagnon, Vincent, squattaient chez nous depuis trois semaines. Trois semaines à vider notre frigo, à laisser traîner leurs affaires partout, à se plaindre du bruit du RER alors qu’ils n’avaient jamais payé un centime pour le loyer.

Guillaume soupira, posant sa tasse de tisane sur la table basse. « Je sais, Élodie. Mais tu sais comment ils sont… »

Oui, je savais. Depuis toujours, dans ma famille, on m’avait appris à être gentille, à ne pas faire de vagues. Mais là, c’était trop. Ce n’était pas seulement Camille et Vincent. Il y avait aussi mon frère, Jérôme, qui débarquait tous les dimanches avec ses enfants pour « profiter du jardin », c’est-à-dire transformer notre pelouse en terrain de foot et repartir avec les restes du déjeuner dans des tupperwares. Et puis maman, qui trouvait toujours une excuse pour rester dormir après un repas de famille — « Je suis trop fatiguée pour rentrer à Créteil ce soir… » — et qui passait la matinée suivante à critiquer notre déco ou la façon dont je rangeais mes placards.

Mais ce soir-là, c’était différent. Ce soir-là, j’avais envie de hurler. Parce que Guillaume et moi avions économisé pendant deux ans pour nous offrir un rêve : une petite cabane en bois au fond du jardin, une vraie sauna finlandaise qui sentait le cèdre frais. On voulait un endroit rien qu’à nous, un cocon où oublier le stress du boulot et les soucis du quotidien. Mais à peine la livraison annoncée que Camille avait lancé : « Génial ! On pourra inviter tout le monde pour l’inauguration ! »

Je me suis levée brusquement. « Non. Cette fois, non. »

Guillaume m’a regardée avec étonnement. « Tu es sûre ? »

J’ai hoché la tête. « Il faut qu’on leur dise. Qu’on pose des limites. Sinon… sinon je vais exploser. »

Le lendemain matin, j’ai trouvé Camille dans la cuisine, en train de finir le dernier yaourt nature. Elle a souri : « Tu veux du café ? »

J’ai pris une grande inspiration. « Camille, il faut qu’on parle. »

Elle a levé les yeux au ciel, déjà sur la défensive. « Quoi encore ? »

« Ça fait trois semaines que vous êtes là. Je comprends que vous ayez eu des soucis avec votre appart’, mais… on a besoin de retrouver notre intimité avec Guillaume. Et puis… »

Elle m’a coupée : « Mais tu sais bien qu’on n’a nulle part où aller ! »

« Je comprends, mais ce n’est pas à nous de tout porter tout le temps. On a aussi besoin de souffler. »

Camille a claqué sa tasse sur le plan de travail. « Franchement, tu pourrais être un peu plus solidaire ! On est une famille, non ? »

J’ai senti les larmes monter. Solidarité… Toujours dans un seul sens ?

Guillaume est intervenu : « On vous aime beaucoup, mais on a besoin d’espace pour nous deux. Ce week-end, on aimerait être seuls pour profiter de notre sauna. »

Le silence s’est abattu sur la pièce.

Le soir même, j’ai reçu un message de maman :
« Camille m’a appelée en pleurs. Tu pourrais faire un effort ! Je ne comprends pas ce qui t’arrive… »

J’ai relu le message dix fois. J’avais envie de répondre : « Ce qui m’arrive ? J’en ai marre d’être la bonne poire ! » Mais je me suis contentée d’un « Désolée maman, mais j’ai besoin de temps pour moi. »

Le samedi suivant, alors que Guillaume installait les dernières planches du sauna sous une pluie fine typiquement francilienne, j’ai vu Jérôme arriver avec ses enfants.

« Salut soeurette ! On va pouvoir tester le sauna ? Les petits sont impatients ! »

J’ai pris mon courage à deux mains : « Non Jérôme. Aujourd’hui c’est juste pour Guillaume et moi. »

Il a éclaté de rire : « Allez arrête, tu rigoles ? Depuis quand t’es égoïste comme ça ? »

J’ai senti mon cœur se serrer mais je n’ai pas flanché : « Depuis que j’en ai marre qu’on profite de moi sans jamais rien donner en retour. »

Il a haussé les épaules et est reparti en marmonnant.

Le soir venu, Guillaume et moi nous sommes installés dans notre sauna flambant neuf. La chaleur douce enveloppait nos corps fatigués et pour la première fois depuis longtemps, je me suis sentie légère.

Mais le répit fut de courte durée.

Le lendemain matin, je découvris sur Facebook un post de Camille :
« Triste d’avoir une sœur qui oublie ce que famille veut dire… #déçue #solitude »

Les commentaires fusaient : des cousins prenaient parti pour elle, d’autres me défendaient timidement.

Je me suis effondrée sur le canapé.

Guillaume m’a prise dans ses bras : « Tu as bien fait. Il fallait que ça sorte un jour ou l’autre. »

Mais au fond de moi, je doutais encore.

Quelques jours plus tard, maman est venue sonner à la porte sans prévenir.

« Élodie… On peut parler ? »

Elle s’est assise en face de moi dans la cuisine.

« Tu sais… Je crois qu’on t’a trop demandé ces derniers temps. Mais tu dois comprendre que la famille c’est important… »

J’ai répondu doucement : « Oui maman, mais moi aussi je suis importante. J’ai le droit d’exister autrement qu’en étant celle qui arrange tout le monde… »

Elle a baissé les yeux.

Depuis ce jour-là, les relations sont tendues mais plus honnêtes. Certains m’en veulent encore ; d’autres commencent à comprendre.

Parfois je me demande : est-ce égoïste de poser ses limites ? Ou est-ce simplement vital pour ne pas se perdre soi-même ? Qu’en pensez-vous ?