Lettre à un inconnu : le cri d’une mère pour son fils différent
— « Tu ne peux pas surveiller ton fils ? Il n’a rien à faire ici ! »
La voix a claqué comme une gifle. Je me suis figée, la main serrée sur la poussette. Mon fils, Paul, riait aux éclats, fasciné par la balançoire qui grinçait sous le soleil de mai. Il n’a pas compris la violence des mots. Mais moi, si. J’ai senti mon cœur se serrer, la colère monter, l’humiliation me brûler les joues. Autour de nous, quelques parents détournaient les yeux, gênés. D’autres chuchotaient. Personne ne disait rien.
Paul a trois ans. Il est né avec une trisomie 21. Depuis sa naissance, je me bats pour qu’il ait sa place dans ce monde qui ne veut pas toujours de lui. Je me bats contre les regards en coin, les sourires gênés, les phrases maladroites : « Il est mignon, mais… » Mais quoi ? Mais différent ?
Ce jour-là, dans ce parc de Lyon, c’est la première fois qu’on l’a rejeté aussi ouvertement. L’homme était grand, le visage fermé, accompagné d’un petit garçon qui semblait avoir peur de lui. Il a répété :
— « Il fait peur aux autres enfants. »
J’ai voulu répondre, hurler même. Mais ma voix s’est brisée dans ma gorge. J’ai pris Paul dans mes bras et je suis partie en courant, le cœur en miettes.
Le soir, en rentrant à la maison, j’ai raconté à mon mari, Antoine. Il a serré Paul contre lui, les yeux humides. « On ne peut pas laisser passer ça », a-t-il murmuré. Mais que faire ? Porter plainte ? Écrire sur les réseaux sociaux ? J’ai passé la nuit à tourner en rond, incapable de dormir.
À trois heures du matin, j’ai allumé mon ordinateur et j’ai commencé à écrire. Pas pour me venger. Pas pour humilier cet homme. Mais pour lui parler. Pour lui expliquer ce qu’il n’a pas voulu voir.
« Monsieur,
Vous ne me connaissez pas. Vous ne connaissez pas mon fils. Pourtant aujourd’hui, vous avez décidé qu’il n’avait pas sa place parmi les autres enfants. Vous avez dit qu’il faisait peur. Mais savez-vous ce que c’est que d’avoir peur ?
Moi, j’ai peur tous les jours. Peur que Paul soit rejeté à l’école maternelle parce qu’il ne parle pas comme les autres. Peur qu’on se moque de lui dans la cour de récréation. Peur qu’il grandisse dans un monde où on juge avant de comprendre.
Paul aime la balançoire et les bulles de savon. Il adore les chansons de Charles Aznavour et les crêpes au sucre. Il rit aux éclats quand son papa fait le clown et il serre très fort sa peluche préférée quand il a peur du noir.
Il n’est pas dangereux. Il n’est pas contagieux. Il est juste différent.
Je vous écris parce que j’espère que la prochaine fois que vous croiserez un enfant comme Paul, vous regarderez au-delà de la différence. Que vous apprendrez à votre fils que la gentillesse est plus forte que la peur.
Parce que c’est nous, adultes, qui donnons l’exemple.
Gianna »
J’ai posté cette lettre sur Facebook, sans trop y croire. Le lendemain matin, elle avait été partagée des milliers de fois. Des messages sont arrivés de toute la France : des parents d’enfants porteurs de handicap, des enseignants, des inconnus bouleversés.
Mais il y a eu aussi des commentaires blessants : « On ne peut pas imposer ces enfants aux autres », « C’est triste mais c’est la vie ». J’ai pleuré devant mon écran. J’ai hésité à tout supprimer.
C’est alors que ma mère m’a appelée :
— « Tu as bien fait d’écrire cette lettre, Gianna. Tu as mis des mots sur ce que beaucoup n’osent pas dire. »
Le soir même, Paul s’est endormi dans mes bras. Je l’ai regardé dormir longtemps, son visage paisible éclairé par la veilleuse bleue. Je me suis demandé quel monde l’attendait.
Quelques jours plus tard, la directrice de l’école maternelle m’a appelée :
— « Madame Martin, nous avons lu votre lettre avec toute l’équipe pédagogique. Nous voulons organiser une journée sur le vivre-ensemble et inviter d’autres parents à témoigner… »
J’ai accepté avec émotion. Le jour venu, devant une salle pleine à craquer, j’ai raconté notre histoire. D’autres parents ont pris la parole : une maman dont la fille est autiste ; un papa dont le fils est en fauteuil roulant ; une grand-mère qui a élevé seule son petit-fils sourd.
À la fin, une petite fille s’est approchée de Paul et lui a tendu un dessin : deux enfants main dans la main sous un arc-en-ciel.
En rentrant chez nous ce soir-là, Antoine m’a dit :
— « Tu vois, parfois il suffit d’une voix pour changer les choses… »
Mais au fond de moi subsiste cette question lancinante : combien d’enfants comme Paul devront encore affronter l’indifférence ou la cruauté ? Est-ce qu’un jour la différence sera enfin vue comme une richesse ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?