L’espoir retrouvé : l’histoire de Zoé, petite fille en quête d’amour
« Tu comprends, Zoé, c’est pour ton bien. » La voix de l’assistante sociale résonne encore dans ma tête, froide et tranchante comme la pluie qui tombait ce matin-là sur la banlieue de Lyon. Je serre fort mon doudou contre moi, assise à l’arrière de la voiture. Je n’ai que six ans, mais je sais déjà ce que c’est que d’avoir le cœur brisé. Maman n’a pas pu venir me dire au revoir. Elle n’a pas pu… ou elle n’a pas voulu ?
Dans la maison de Madame Lefèvre, tout sentait la lavande et le pain grillé. Mais rien n’avait le goût de chez moi. Les autres enfants couraient dans le jardin, riaient fort, alors que moi, je restais assise sur les marches, à attendre. Chaque soir, je fixais la porte d’entrée, persuadée que maman finirait par apparaître. Je me répétais : « Elle va venir, elle va venir… »
Un soir d’automne, alors que les feuilles mortes tapissaient le trottoir, j’ai entendu la voix de Madame Lefèvre dans la cuisine :
— Elle ne parle presque pas… Tu crois qu’elle va s’habituer ?
— Il faut du temps, répondait son mari. Elle a vécu des choses difficiles.
Je me suis sentie invisible, comme un fantôme dans une maison pleine de vie. Les autres enfants avaient leurs histoires, leurs souvenirs ; moi, je n’avais que l’attente et le silence.
À l’école, les autres se moquaient parfois :
— T’as pas de vraie maman ?
— T’es une enfant placée !
Je baissais la tête. Je ne savais pas quoi répondre. J’avais honte. J’avais peur qu’on découvre que j’étais différente.
Un jour, alors que je dessinais seule dans la cour, Camille s’est approchée :
— Tu veux jouer avec moi ?
J’ai haussé les épaules. Je ne savais plus comment faire confiance. Mais Camille a insisté. Petit à petit, elle m’a apprivoisée. Elle m’a raconté ses secrets, m’a invitée chez elle pour goûter. Sa maman m’a souri comme si j’étais la sienne.
Mais chaque soir, en rentrant chez Madame Lefèvre, la même question me rongeait : pourquoi maman ne vient-elle pas ?
Un jour de décembre, l’assistante sociale est revenue. Elle a parlé longtemps avec Madame Lefèvre dans le salon. Je les ai écoutées derrière la porte.
— Sa mère ne donne plus de nouvelles depuis des mois…
— Et son père ?
— Inconnu.
— Que va-t-il se passer pour elle ?
— On cherche une famille adoptive.
Adoptive ? Ce mot sonnait faux dans ma bouche. Je voulais ma maman, pas une autre famille.
Quelques semaines plus tard, on m’a présenté Monsieur et Madame Dubois. Ils avaient les yeux doux et les mains chaudes. Ils m’ont emmenée au parc de la Tête d’Or. J’ai eu peur qu’ils veuillent m’acheter avec des glaces et des tours de manège.
— Tu sais, Zoé, on aimerait beaucoup t’accueillir chez nous, a dit Madame Dubois en me regardant droit dans les yeux.
J’ai détourné le regard. J’avais peur d’espérer à nouveau.
La première nuit chez eux, je n’ai pas dormi. J’écoutais les bruits de la maison : le parquet qui craque, le chat qui miaule… Tout était nouveau. Le lendemain matin, Monsieur Dubois m’a préparé des crêpes.
— Tu veux du sucre ou de la confiture ?
J’ai murmuré : « Confiture… » C’était la première fois que je parlais depuis longtemps.
Petit à petit, j’ai appris à sourire à nouveau. Madame Dubois me lisait des histoires avant de dormir. Monsieur Dubois m’apprenait à faire du vélo sans petites roues. Mais chaque fois qu’ils me disaient « on t’aime », une petite voix en moi murmurait : « Et maman ? »
Un soir d’été, alors que nous pique-niquions au bord du Rhône, Madame Dubois m’a prise dans ses bras.
— Tu sais, Zoé, tu as le droit d’aimer ta maman et de nous aimer aussi.
J’ai fondu en larmes. Pour la première fois depuis des mois, j’ai laissé sortir toute ma tristesse et ma colère.
— Pourquoi elle ne vient pas ? Pourquoi elle ne m’aime plus ?
Monsieur Dubois a caressé mes cheveux.
— Parfois, les adultes font des choix qu’on ne comprend pas… Mais ce n’est pas ta faute.
Les jours ont passé. J’ai commencé à appeler Madame Dubois « Maman ». Au début en chuchotant, puis plus fort. J’ai eu peur qu’elle disparaisse aussi si je l’aimais trop fort.
À l’école, Camille est devenue ma meilleure amie. On riait ensemble à la cantine, on se racontait nos rêves. Un jour, elle m’a demandé :
— Tu es heureuse maintenant ?
J’ai réfléchi longtemps avant de répondre.
— Oui… mais il y a toujours un petit trou dans mon cœur.
Aujourd’hui, j’ai huit ans. J’ai une nouvelle famille qui m’aime et me protège. Mais parfois, la nuit, je rêve encore de ma première maman. Je me demande si elle pense à moi quelque part.
Est-ce qu’on peut vraiment guérir de l’abandon ? Est-ce que l’amour qu’on reçoit peut effacer ce qu’on a perdu ? Qu’en pensez-vous ?