Le Silence du 14 Mars : Chronique d’un Anniversaire Oublié

— Tu fais quoi pour ton anniversaire, Camille ?

La voix de ma mère résonne dans le combiné, hésitante, presque coupable. Je regarde l’écran de mon téléphone : il est 9h12, 14 mars. Mon anniversaire. Autrefois, à cette heure-ci, j’aurais déjà reçu une dizaine de messages, deux appels de collègues, un bouquet de fleurs livré par surprise. Aujourd’hui, c’est le premier appel. Et c’est maman.

— Rien de spécial, je crois…

Un silence gênant s’installe. Je sens qu’elle voudrait dire quelque chose de réconfortant, mais elle ne trouve pas les mots. Elle finit par me souhaiter une bonne journée et raccroche. Je reste là, dans ma cuisine, entourée du silence. Le chat me regarde, indifférent.

Il y a cinq ans encore, j’étais la reine des soirées. J’organisais des dîners pour dix, quinze personnes dans mon petit appartement du 11e arrondissement. On riait fort, on refaisait le monde autour d’un plateau de fromages et d’une bouteille de Saint-Émilion. J’étais celle qui lançait les invitations, qui n’oubliait jamais un anniversaire, qui envoyait des textos à minuit pile pour être la première à souhaiter « joyeux anniversaire ».

Mais aujourd’hui… Aujourd’hui, je ne sais même plus à qui je pourrais écrire. Les groupes WhatsApp sont silencieux depuis des mois. Les collègues ont changé de boîte ou sont partis en télétravail à la campagne. Ma sœur, Lucie, vit à Lyon et m’envoie un message automatique : « Bon anniv’ grande sœur ! Profite bien ! »

Je m’assieds sur le canapé et je repense à tout ce que j’ai perdu sans m’en rendre compte. Est-ce moi qui ai changé ? Ou est-ce le monde qui s’est refermé sur lui-même ?

Je me souviens du dernier anniversaire où tout le monde était là. C’était juste avant le confinement. On avait dansé jusqu’à trois heures du matin dans mon salon. Paul avait renversé du vin sur le tapis, Julie avait chanté « La Vie en Rose » à tue-tête sur le balcon. On s’était promis de ne jamais se perdre de vue.

Mais la pandémie est passée par là. Les apéros Zoom ont remplacé les vraies rencontres. Puis il y a eu les déménagements, les séparations, les enfants qui naissent et qui prennent tout le temps. Et moi, dans tout ça ? J’ai continué à envoyer des messages, à proposer des cafés… jusqu’à ce que je réalise que je recevais plus souvent des excuses que des réponses.

Un jour, j’ai arrêté d’insister. J’ai laissé passer les invitations sans répondre. J’ai arrêté d’organiser des choses. Je me suis dit : « Si quelqu’un tient vraiment à moi, il fera le premier pas. » Mais personne n’a appelé.

Aujourd’hui, je me retrouve seule avec mes souvenirs et ce téléphone qui ne sonne pas.

Vers midi, je décide de sortir acheter une baguette. Dans la rue, je croise Madame Dupuis, ma voisine du dessus.

— Bonjour Camille ! Vous allez bien ?

Je souris poliment.

— Oui… c’est mon anniversaire aujourd’hui.

Elle s’arrête, surprise.

— Oh ! Joyeux anniversaire alors ! Vous fêtez ça avec des amis ?

Je secoue la tête.

— Non… pas cette année.

Elle me regarde avec une compassion gênée avant de s’éclipser rapidement sous prétexte d’un rendez-vous chez le médecin.

Je rentre chez moi avec ma baguette sous le bras et une boule dans la gorge. Je repense à mon père qui disait toujours : « Les vrais amis se comptent sur les doigts d’une main. » Mais je n’en ai même plus un seul à appeler aujourd’hui.

L’après-midi s’étire lentement. Je regarde par la fenêtre les enfants jouer dans la cour de l’immeuble. Je me demande si l’une de ces petites filles deviendra un jour comme moi : entourée puis oubliée.

À 17h30, mon téléphone vibre enfin. Un message vocal de Julie :

— Coucou Camille ! Je suis désolée, j’ai complètement zappé ton anniversaire… On se fait un café bientôt ? Bisous !

Je souris tristement. « Bientôt », ça veut dire « jamais », je le sais bien.

Le soir tombe sur Paris. Je souffle une bougie plantée dans un éclair au chocolat acheté chez le boulanger du coin. Je ferme les yeux et je fais un vœu : retrouver un jour cette chaleur humaine qui me manque tant.

Je me demande : est-ce que c’est moi qui ai trop donné ? Ou est-ce que l’amitié n’a plus la même valeur aujourd’hui ? Est-ce qu’on peut vraiment se réinventer quand on a tout perdu ? Qu’en pensez-vous ?