Le Silence des Couloirs : Mon Combat contre la Maladie et le Jugement

— Tu ne vas pas mourir, hein ?

La voix de ma fille, Chloé, résonne dans la chambre blanche, presque vide. Elle a douze ans, les yeux rougis par la peur. Je voudrais lui mentir, lui promettre l’impossible, mais je sens déjà le poids du diagnostic écraser mes épaules. Je détourne le regard vers la fenêtre, où la pluie de janvier martèle Paris sans relâche.

— Je vais me battre, ma chérie. On va se battre ensemble.

C’est tout ce que je trouve à dire. Je m’appelle Camille, j’ai 42 ans, et il y a trois jours, on m’a annoncé un cancer de l’ovaire. Je n’ai pas pleuré devant le médecin. J’ai serré les dents, noté les mots techniques — chimiothérapie, opération, protocoles — comme si je préparais un exposé pour le lycée. Mais à l’instant où Chloé a posé sa question, la réalité m’a frappée de plein fouet.

Mon mari, Laurent, est resté silencieux tout le trajet du retour. Dans la voiture, il fixait la route, les mains crispées sur le volant. Nous n’avons pas parlé. À la maison, il s’est enfermé dans le bureau sous prétexte d’appels urgents. J’ai compris qu’il avait besoin de temps. Mais moi ? Qui me donne du temps ?

Le lendemain, ma mère a débarqué sans prévenir. Elle a déposé un sac de courses sur la table et s’est mise à ranger frénétiquement.

— Tu dois manger des légumes verts. C’est bon pour le sang.

J’ai voulu lui dire que ce n’était pas une question d’épinards ou de brocolis. Mais elle a continué à parler, à remplir le silence de conseils inutiles. J’ai compris qu’elle avait peur aussi. Peur de me perdre. Peur de ne pas savoir comment m’aider.

Les jours suivants se sont enchaînés entre rendez-vous médicaux et paperasse administrative. J’ai découvert l’univers impitoyable des couloirs d’hôpital : les regards fuyants des autres patients, les sourires mécaniques des infirmières débordées, l’attente interminable dans les salles d’examen où chaque minute pèse comme une pierre.

Un matin, alors que j’attendais mon tour pour une IRM, une femme d’une cinquantaine d’années s’est assise à côté de moi.

— Première fois ?

J’ai hoché la tête.

— On s’y habitue jamais vraiment… Mais on apprend à vivre avec la peur.

Elle s’appelait Françoise. Elle venait seule à chaque rendez-vous parce que ses enfants habitaient loin. On a parlé longtemps ce jour-là. Elle m’a raconté comment ses amis avaient disparu petit à petit, gênés par sa maladie. « Les gens ont peur de ce qu’ils ne comprennent pas », a-t-elle soufflé en fixant le sol.

Je me suis revue quelques années plus tôt, évitant moi-même une collègue malade parce que je ne savais pas quoi dire. La honte m’a envahie.

À la maison, la tension montait. Laurent était de plus en plus absent. Un soir, alors que je préparais le dîner pour Chloé et moi, il est rentré tard et a claqué la porte.

— Tu crois que c’est facile pour moi ?

Sa voix tremblait de colère et de fatigue.

— Je fais ce que je peux ! Mais tu n’es plus la même…

J’ai laissé tomber la cuillère dans l’évier. Je n’étais plus la même ? Comment aurait-il pu comprendre ? Chaque matin, je me réveillais avec la peur au ventre. Chaque soir, je me couchais en me demandant si j’allais voir grandir ma fille.

La chimiothérapie a commencé en février. Les premiers jours ont été supportables. Puis sont venus les nausées, la fatigue écrasante, la perte des cheveux. Chloé m’a aidée à choisir un foulard coloré chez Monoprix. Elle a souri en me disant que ça m’allait bien. Mais dans ses yeux, je voyais l’inquiétude grandir.

Un dimanche matin, ma sœur Élodie est venue avec ses enfants. Elle a voulu organiser un déjeuner « comme avant ». Mais rien n’était comme avant. Les conversations tournaient autour de tout sauf de ma maladie : les vacances d’été, les travaux dans sa maison à Suresnes… J’avais envie de crier : « Regardez-moi ! Je suis là ! J’ai peur ! » Mais j’ai souri poliment et mangé en silence.

La solitude est devenue mon quotidien. Même entourée, je me sentais invisible. Les amis se faisaient rares ; certains envoyaient des messages gênés : « Si tu as besoin de quoi que ce soit… » Mais personne ne venait vraiment.

Un soir d’avril, alors que je regardais Paris s’endormir depuis mon balcon, Chloé s’est assise à côté de moi.

— Tu crois qu’on sera heureuses après ?

Je l’ai prise dans mes bras et j’ai pleuré pour la première fois depuis des mois.

Aujourd’hui encore, je ne sais pas si je vais guérir. Mais je sais que je ne suis pas seule à vivre ça. Que derrière chaque porte d’hôpital se cache une histoire comme la mienne : faite de peur, d’amour maladroit et de courage silencieux.

Est-ce qu’on apprend vraiment à vivre avec la maladie ? Ou bien est-ce qu’on apprend surtout à vivre avec le regard des autres ? Qu’en pensez-vous ?