Le miroir ne ment jamais : Mon combat contre l’apparence
« Tu ne sors pas comme ça, Camille ! Regarde-toi, on dirait que tu as oublié d’être une fille. » La voix de ma mère résonne encore dans la salle de bain, tranchante comme une lame. Je serre la brosse à cheveux entre mes doigts, le regard fixé sur mon reflet. Mes cheveux châtains tombent en désordre sur mes épaules, mes yeux cernés témoignent d’une nuit blanche passée à réviser pour le bac. Je n’ai pas envie de mettre ce mascara qu’elle me tend, ni cette robe trop courte qu’elle a achetée « pour que tu sois jolie comme les autres ». Mais je cède, encore une fois. Pour éviter la dispute, pour qu’elle m’aime, pour qu’on m’aime.
À la cantine du lycée Jean-Jaurès, les conversations tournent toujours autour des mêmes sujets : les dernières stories Instagram de Clara, le nouveau jean taille haute de Sophie, le nombre de likes sous la photo de groupe prise au centre commercial. Je ris avec elles, mais je me sens étrangère à ce monde où tout se joue dans le regard des autres. Mon cœur se serre quand je vois Paul, assis à la table du fond. Il ne me regarde jamais. Il préfère Clara, avec ses ongles parfaits et son sourire éclatant. Je me demande si un jour quelqu’un verra au-delà de mon apparence.
Le soir, à la maison, c’est la guerre froide. Mon père lit Le Monde sans lever les yeux, ma mère pianote sur son téléphone en soupirant. « Tu pourrais faire un effort pour être plus féminine, Camille. Tu sais bien que dans la vie, l’apparence compte. » Je voudrais lui crier que je ne suis pas un mannequin, que je veux juste être moi-même. Mais les mots restent coincés dans ma gorge.
Un samedi matin, tout bascule. Je surprends une conversation entre mes parents : « Camille n’a pas d’amis, elle ne sort jamais… Tu crois qu’elle va réussir à s’intégrer ? » Mon père répond : « Elle est trop différente. À force de refuser de rentrer dans le moule, elle va finir seule. » Ces mots me transpercent. Je monte dans ma chambre et je pleure toutes les larmes de mon corps.
C’est alors que j’ai rencontré Élodie. Elle venait d’arriver dans notre classe, avec ses vêtements dépareillés et son rire franc qui détonait au milieu des chuchotements. Elle n’avait pas peur d’être différente. Un jour, elle m’a dit : « Tu sais Camille, le miroir ne ment jamais. Mais il ne montre pas tout non plus. Ce qui compte, c’est ce que tu portes à l’intérieur. »
Petit à petit, grâce à Élodie, j’ai appris à m’écouter. À oser dire non à ma mère quand elle voulait me transformer en poupée. À refuser les invitations superficielles pour passer des après-midis à discuter de livres et de rêves avec Élodie dans le parc Monceau. J’ai commencé à écrire dans un carnet tout ce que je n’osais pas dire à voix haute : mes peurs, mes envies, mes colères.
Mais le chemin vers l’acceptation de soi n’est jamais linéaire. Un soir d’été, lors d’une fête organisée par Clara, j’ai voulu faire comme tout le monde : maquillage impeccable, robe moulante empruntée à ma sœur. J’espérais que Paul me verrait enfin. Mais il a juste souri poliment avant de retourner vers Clara. Dans la salle de bain bondée, j’ai croisé mon reflet : une inconnue aux yeux tristes.
En rentrant chez moi ce soir-là, j’ai trouvé ma mère assise sur mon lit. Elle m’a regardée longuement avant de murmurer : « Je voulais juste que tu sois heureuse… Peut-être que je me suis trompée sur ce que ça voulait dire. » Pour la première fois, j’ai vu ses yeux briller d’une tristesse sincère.
L’été est passé et la rentrée est arrivée avec son lot d’incertitudes. J’ai décidé de couper mes cheveux courts, malgré les protestations de ma mère. J’ai arrêté de suivre les tendances et j’ai commencé à poster sur Instagram des photos qui me ressemblaient vraiment : des livres ouverts sur mon bureau, des couchers de soleil sur la Seine, des moments partagés avec Élodie.
Peu à peu, d’autres élèves sont venus vers moi. Pas ceux qui brillaient en surface, mais ceux qui cherchaient quelque chose de vrai. J’ai découvert l’amitié sincère et même l’amour – pas celui qui fait battre le cœur pour une image parfaite, mais celui qui réchauffe l’âme quand on ose être vulnérable.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter devant le miroir. Mais je sais désormais que ma valeur ne dépend pas du regard des autres ni du nombre de likes sous une photo retouchée. J’ai appris à aimer mes défauts et à célébrer ceux des autres.
Parfois je me demande : combien sommes-nous à nous perdre dans la quête d’une beauté imposée ? Et si on osait enfin se regarder autrement ?